Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

DIMANCHE 06 FÉVRIER 2011

Trescléoux

Lectures du Jour :

Esaïe 49, 8-15

1 Corinthiens 4, 1-5

Matthieu 6, 24-34

vivez sans souci 

Introduction

Chers frères et sœurs, nous voici devant un autre texte du sermon sur la montagne, dont la lecture en diagonale, conduit souvent à des interprétations qui mènent à des voies de garage, c’est le cas en particulier de ce texte que Castellion intitulait « vivez sans souci ».

La cigale

Sans souci, cela veut-il dire insouciant ? Jésus nous raconterait-il, bien avant La Fontaine l’histoire de la cigale et la fourmi, mais une cigale qui chanterait tout l’été des cantiques à la gloire du Seigneur et lorsque la bise et la froidure de l’hiver seraient venues dirait « Pas de problème, Dieu y pourvoira ».

Combien de fois n’ai-je pas entendu cette expression chez des frères et sœurs, assurés qu'il n'y a qu'à prier le Père Miséricordieux pour obtenir ce dont vous avez besoin selon la formule de Jésus : demandez et l'on vous donnera (Mt 7/7).

Ou de nous citer Marthe et Marie. Marthe dans l’agitation, Marie dans la contemplation.

Avec ce verset : « Ne vous préoccupez donc pas de quoi demain sera fait » !

C’est imparable : le vrai chemin vers le Seigneur passerait donc par l’attentisme et la contemplation et puis, comment Dieu pourrait-il nous laisser dans le besoin ?

Mais nous sentons intuitivement que ce raisonnement sonne faux. Jésus, dans le chapitre précédent, nous confie tout de même une sacrée mission : sel de la terre, lumière du monde, c’est donc bien que Dieu a un plan pour nous, un projet de vie, justement faire de notre vie une œuvre, prendre nos responsabilités, œuvrer pour le bien commun, ne pas rester dans le « attendre » ou le « recevoir » mais entrer dans « l’agir » et le « donner ». Si l’on veut accomplir ce projet de Dieu pour nous, il faudra bien à un moment ou un autre se retrousser les manches.

Alors lorsque Jésus nous dit « Ne vous préoccupez pas.. », ce n’est pas un hymne à l’insouciance mais c’est que justement, il nous voit passer tout notre temps à nous préoccuper, au lieu de nous consacrer à notre mission.

Nos préoccupations

Car nous passons notre vie à nous soucier, nous préoccuper, nous inquiéter : combien de catastrophes n’avons-nous pas déjà imaginées dans notre tête ?

Et je ne vous parle pas du réchauffement climatique, du péril jaune, ou des mouvements au moyen orient

Et je ne vous parle pas d’hier, de ce que je n’ai pas fait hier et que j’aurais du faire, ou de ce que j’ai dit hier et que je n‘aurais pas du dire.

On a tout faux, de A à Z, Oui, tout, tout, autour de nous et en nous, est anxiogène et source d’angoisse.

Et pour chaque catastrophe imaginée, on se tasse un peu plus sous le poids de ce sac plein qu’on a sur le dos.

Et comme les catastrophes n’arrivent pas, l’on se tasse encore un peu plus, en culpabilisant d’être pris en flagrant délit de manque de confiance en Dieu.

Mais au fait, où est passé Jésus ? Vous savez, celui dont un jour nous avons dit à haute voix, lorsque nous avons demandé le baptême ou sa confirmation « Oui, Jésus Christ est mon Seigneur »,

Où est-il ? Sous ce monceau de soucis, de ratés quotidiens, Comment ne pas le perdre de vue ?

C’est là que notre culte dominical trouve tout son sens :

- Notre prière de repentance, renouvelée chaque semaine, ou chaque jour dans le Notre Père, nous permet de tirer un trait sur hier et ses ratés,

- Notre prière d’intercession nous permet de remettre en confiance demain à Dieu et à l’œuvre du Saint Esprit,

- L’écoute de la Parole nous redonne un coup de booster bien nécessaire, en nous faisant passer de la croix du sacrifice unique, au tombeau vide de la résurrection.

Alors, libérés d’hier, confiants en demain, nous pouvons nous consacrer pleinement à aujourd’hui, il n’y a plus d’hier avec ses regrets ni de demain avec ses angoisses, il n’y a que des aujourd’hui, à vivre avec à notre côté, en nous, le Seigneur qui peut dès lors réapparaître pleinement dans le quotidien de nos vies. Et dès lors aussi, nous devenons disponibles pour lui exprimer notre reconnaissance.

Ce découpage du temps entre hier aujourd’hui, demain, n’a plus de sens, pour nous qui avons notre part à la vie éternelle depuis le jour de notre engagement.

Il n’y a plus que des « aujourd’hui », plus d’imparfait, plus de futur, il n’y a que du temps présent :

- Je suis celui qui est, dit Dieu

- Celui qui croit en moi, il a la vie éternelle dit Jésus,

Que du temps présent.

Et il en sera ainsi jusqu’à notre dernier jour sur cette terre, ou nous passerons à un autre aujourd’hui, pour l’éternité.

« Ne vous inquiétez donc pas du lendemain; car le lendemain aura soin de lui-même. A chaque jour suffit sa peine » nous dit Jésus au verset 34.

Et Jésus nous parle de petits oiseaux,

La fourmi et Les oiseaux

Jésus ne connaissait pas les Fables de La Fontaine, il ne nous parle donc pas de la fourmi, mais des petits oiseaux. De toutes façons, il n’aurait pas cité la fourmi en exemple, vous savez pourquoi ? La fourmi n’est pas prêteuse !! Et elle laisse sa voisine crever de faim, avec bonne conscience, sous prétexte qu’elle n’a pas le même mode de vie qu’elle. Ce n’est donc vraiment pas un exemple à suivre, contrairement à ce que La Fontaine nous laisse à penser.

Ces petits oiseaux, que de confusions n’ont-ils pas générées ?

Car s’ils ne sèment ni ne moissonnent, ce n’est pas signe de paresse, ou d’insouciance, mais c’est que libérés du souci de la nourriture du lendemain, ils peuvent consacrer toute leur énergie à faire aujourd’hui et jour après jour, ce pourquoi Dieu les a créés.

Et de l’énergie ils n’en manquent pas : c’est même extraordinaire de les voir faire, du matin au soir, la construction du nid, la couvaison, la nourriture des petits et aussitôt envolés, hop, on prépare une seconde nichée, et le tout en sifflant !!

C’est cet exemple là que Jésus a voulu mettre en évidence. Tout le contraire d’un hymne à l’oisiveté.

Pas d'éloge de la paresse dans la Bible, mais une valorisation du travail, ce que le protestantisme a particulièrement bien compris puisque les Réformateurs, dès le XVIème siècle, parlent du travail comme notre manière d'accomplir notre vocation divine, développant une véritable éthique du travail et de l’effort.

On est loin du « tout, tout de suite » d’aujourd’hui.

Martin Luther disait à sa façon, en référence à notre texte de ce matin : comme l'oiseau est fait pour voler, l'homme est fait pour travailler (Œuvres, I, 289).

Et d’ailleurs Luther, en langue allemande parlait non pas de travail, mais de tâche. Et la nuance n’est pas mince :

On fait un travail, mais on accomplit une tâche, comme une mission qu’il faudrait mener à bonne fin, jusqu’à son terme. Comme Jésus sur la croix qui dans son dernier souffle murmure : « Tout est accompli ».

C’est bien comme cela que ce texte était compris par les premiers réformés et par la centaine de nos frères et sœurs, anglais et écossais, réformés calvinistes, persécutés par les anglicans qui les traitaient de puritains, lorsqu’ils embarquèrent à Plymouth en 1620 sur une coquille de noix, cap à l’Ouest, vers la terre promise.

Deux mois de traversée. Ils eurent tout le temps de se préparer à leur nouvelle vie. Dans la prière et une ferveur toute mystique, remettant leur vie à Dieu au passage de chaque tempête, ils revivaient le passage de la mer rouge, la traversée du désert, se rappelant la manne que chaque jour Dieu déposait, manne qui pourrissait si on voulait la stocker. Ce livre de l’Exode, c’est leur propre histoire qu’il racontait.

Durant ces deux mois ils eurent le temps de rédiger l’acte qui régirait le nouveau mode de vie de leur communauté, acte qui constituera l’armature de la future constitution des Etats-Unis.

De cette colonie fondatrice sortiront d’ailleurs 8 présidents des E.U.

Puis ils débarquèrent, défrichèrent, labourèrent, la bible dans une main, le mancheron de charrue dans l’autre, ils semèrent en bénissant l’Eternel et l’Eternel bénit leurs moissons.

Pour eux, ces moissons fruit de leur travail acharné appartenaient à Dieu avant de leur appartenir, et s’ils lisaient l’Exode, s’identifiant au peuple hébreu, voyant cette terre américaine comme la nouvelle terre promise, entreprenant de construire une nouvelle Jérusalem « où la justice habite », ils lisaient aussi le chapitre 49 du prophète Esaïe pour se donner courage, confiance en la promesse de l’Eternel :

Promesse, pour un peuple en exil, qui venait de tout perdre : Sa liberté, son roi, son Temple, peut-être même son Dieu, YHWH !

Et dans le désespoir, cette promesse :

Sion disait: L'Éternel m'abandonne, Le Seigneur m'oublie! -

Mais quand bien même la femme oublierait l'enfant qu'elle allaite, Moi je ne t'oublierai point.

Nos émigrés lisaient aussi les actes des apôtres et revivant comme l’Eglise primitive, partageant les fruits de leur travail pour le bien commun en remerciant le Seigneur « A Dieu Seul la Gloire » : principe fondateur et unificateur de toutes les obédiences protestantes.

Voilà comment on peut passer d’un discours de Jésus devant quelques paysans et quelques pécheurs sur une colline palestinienne, à la fondation des Etats-Unis d’Amérique.

Quel voyage !!

Quel message d’espoir aussi pour tous les persécutés ou plus simplement pour ceux qui sont dans le creux de la vague.

Mais quel enseignement aussi sur la nature humaine, car l’histoire ne s’arrête pas là : En effet, perdant peu à peu l’Esprit de ceux qu’on appela les Pères-pèlerins, leurs descendants sont devenus fourmis. Ils se mirent à accumuler le fruit de leur travail pour eux-mêmes, faisant grossir la fourmilière, qui gonfle, qui gonfle, jusqu’au jour où un passant donne un coup de pied dans cette fourmilière et patatras, c’est l’explosion, la panique, tout s’écroule, comme la crise des sub-prime de 2008.

Et ces mêmes descendants utilisèrent le dollar créée par leurs pères, dollar sur lequel ils avaient gravé « In God we trust », « en Dieu notre confiance», ils firent de ce dollar non pas un instrument de partage, de redistribution pour le bien commun, mais un outil de domination.

Voilà où nous en sommes aujourd’hui, ce qui doit nous faire méditer sur la réalité et la permanence des forces du mal et sur le fait que l’enfer n’est jamais très loin des bonnes intentions.

Conclusion

Alors, à la lumière de cette méditation, la lecture du message de Christ peut prendre un autre relief :

Ne vous inquiétez pas pour votre vie, la vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement?

Ne vous inquiétez donc point, cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu; et toutes ces choses vous seront données par-dessus.

Voilà ce que nous dit Jésus :

« Choisis la vie, la vraie, celle qui nous est proposée par les Évangiles. En toute circonstance, n’aies pas peur, aies confiance et demandes sans cesse à Dieu de t’aider à accomplir ta tâche, modestement, comme le petit oiseau, là où tu es, pour œuvrer au bien commun. »

Et surtout, n’oublies pas, chaque matin dans ta salle de bains de chanter, ou de siffler comme ces petits oiseaux, à la gloire du Seigneur pour le remercier de la belle journée qui s’annonce.

Amen !

François PUJOL