Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
Dimanche 16 février 2020
Trescléoux (05000)
Lectures du jour :
Deutéronome 30, 15-20 (Voir sous cette référence, méditation du 12 Février 2017)
Matthieu 5, 17-37
1 Corinthiens 2, 6-10
Accomplir la Loi…
Frères et sœurs,
Nos lectures de ce matin nous plongent au début de ce Sermon sur la Montagne, qui s’étend sur 3 chapitres de Matthieu (5, 6 et 7).
Nous sommes au tout début des 3 années du ministère de Jésus, juste après son baptême et son retrait au désert pour un temps de réflexion et d’ascèse, avant de prendre ce chemin de 3 années, un chemin sans retour qui le mènera au Golgotha.
Jésus sillonne la Galilée. Des foules commencent à le suivre, auxquelles il annonce (4,17) Convertissez-vous, le Règne des cieux s’est approché, ce qui nous renvoie au Prologue de Jean[1] et au verset qui précède notre lecture du Dt (30, 14): La Parole est toute proche de toi, dans ta bouche et dans ton cœur pour que tu la mettes en pratique.
Ainsi, en faisant le lien entre ces deux proclamations, Jésus, homme parmi les hommes, confirme sa nature divine, annoncée par cette voix venue d’ailleurs[2], lors de son baptême. Cette transcendance que nous appelons Dieu est descendue au milieu de hommes : Dès lors, plus besoin de nous épuiser à trouver comment monter au ciel ?
C’est alors que Jésus se retrouve au bord du lac de Tibériade suivi par une foule nombreuse à laquelle se mêlent saducéens, scribes et pharisiens.
Il prononce ce long discours inaugural, qui rassemble de nombreuses sentences pour la vie du chrétien, dessinant une nouvelle éthique chrétienne, des recommandations pour la vie quotidienne, la pratique de la vie spirituelle (avec le Notre Père[3]). Ce Sermon se termine par la règle d’or énoncée par Jésus Tout ce que tu voudrais que les autres fassent pour toi, fais le de même pour eux.
Ce chapitre 5 commence par les Béatitudes, dont la première : Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des Cieux est à eux, annonce, en préambule de toute autre proclamation, non seulement le Royaume, mais en désigne les bénéficiaires, car cette béatitude est conjuguée au présent, il s’agit d’une promesse à effet immédiat, non pas pour ceux qui auront quelques bonnes actions à ajouter à leur palmarès mais pour ceux qui sont dans cette disposition particulière : les pauvres de cœur.
Tout au long de ce Sermon sur la Montagne, Jésus parlera du Royaume, annoncera sa proximité (spatiale et temporelle[4]) pour celui qui se repent et qui croit. Il en précisera le sens dans « les paraboles du Royaume »[5], associant Royaume et Vie Éternelle.
Dans cette foule de petites gens oppressées moralement par leurs chefs religieux et économiquement par l’occupant, les béatitudes ont provoqué un mouvement de liesse, une espérance nouvelle, par le renversement de perspective qu’elles ouvrent.
Mais Jésus, comme à son habitude, rafraîchit très vite leur ardeur N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi, je ne suis pas venu pour abroger mais pour accomplir.
Jésus opposerait-il, comme beaucoup de nos frères le croient, le temps de la Loi (l’A.T.) à celui de la Grâce (le N.T.) qu’il vient annoncer : La Loi ou la Grâce ?
Fausse interprétation, car Jésus proclame la Loi + la Grâce, avec ce verbe accomplir, dont le sens originel signifie remplir, c’est-à-dire, réaliser pleinement la Loi, la mener à sa perfection, lui redonner son vrai sens alors qu’elle est devenue une sorte de code à la fois civil et religieux, comme s’il lui manquait quelque chose pour bien l’interpréter.
Du coup, la Loi peut être vue avec un nouvel éclairage : Pour les juifs, la Loi c’est les 10 commandements, 10 injonctions comminatoires porteuses d‘autant de jugements et de condamnations[6].
Mais revenons un instant à cette Loi, dans le livre de l’Exode (20, 2-17)[7] : Le nom de ce texte a été traduit dans la Septante[8] par Décalogue (deka logoï) : les 10 Paroles[9]. Sur ces 10 Paroles, 2 sont impératives, conjuguées au présent : Souviens-toi du jour du repos[10], honore ton père et ta mère. Les 8 autres sont conjuguées au futur, sous une forme négative « Tu ne… ».
Si l’on rapproche ces 8 paroles de la fin de la seconde Parole Je suis un Dieu fidèle qui fait miséricorde…. A ceux qui m’aiment, alors on peut comprendre ce Décalogue non comme un jugement potentiel de tous ceux qui ne le respecteraient pas, mais comme une promesse : Si tu es de ceux qui m’aiment, alors je te protégerai et je te mettrai à l’abri de toutes ces transgressions mortifères.
Ce futur porte en lui une autre valeur, qui accompagne la promesse, c’est la confiance qu’il nous inspire : Dieu lui-même nous rendra capables de vivre selon le Décalogue, car aimer Dieu c’est d’abord l’écouter, et nous l’écouterons.
Dieu est un Dieu miséricordieux et bienveillant qui ne juge pas mais qui veut sauver « quiconque »[11]. C’est pourquoi, en DT 30, il rappelle au Peuple, par la voix de Moïse, que ce Décalogue indique 2 chemins possibles, celui de la Vie et celui de la mort. Et Dieu nous adresse cette supplique : Choisis la Vie ! Car, à chaque carrefour sur le chemin de notre vie, chacun de nous conserve sa liberté de choix.
Jésus va beaucoup plus loin dans l’étude du décalogue et, comme à son habitude, il nous prend à contre-pied, nous pousse dans nos retranchements, par cette anaphore répétée 4 fois : on a dit à vos ancêtres que…, qu’il prolonge par autant d’antithèses : mais moi je vous dis que…
Loin de nous dire que la Loi est devenue obsolète, Jésus nous dit qu’il faut l’approfondir, voir encore plus loin, car Dieu ne tient pas la comptabilité de nos actes, qu’il s’agisse de basses œuvres ou de bonnes œuvres, mais Dieu regarde à la racine de ces transgressions (meurtre, infidélité, parjure, etc…) et cette racine se trouve au fond de nous-mêmes, dans notre cœur.
De sorte que l’on peut être, pour la société civile, quelqu’un de « bien sous tous rapports» et néanmoins avoir le cœur le plus noir, le cœur le plus dur.
Cette racine, que l’on ne peut extirper, puisqu’elle est en nous, c’est elle qui nous conduit à nous éloigner régulièrement du chemin de la Vie proposé par Dieu, et c’est cela qui fait de nous, quoi que nous fassions par ailleurs, des pécheurs aux yeux de Dieu.
C’est par elle que nous sommes à la fois bon grain et ivraie, à la fois obscurité et lumière.
Oui, par notre éloignement de Dieu[12], nous sommes tous pécheurs, il n’y a pas de bons ou de mauvais chrétiens, il n’y a que des chrétiens-pécheurs dont le salut dépend exclusivement de cette grâce imméritée accordée une fois pour toutes par Jésus le Christ, qui a manifesté jusqu’à son terme, sur la croix, l’amour de Dieu pour l’Humanité[13].
Il ne nous reste plus qu’à essayer d’être des serviteurs pas trop inutiles[14], et justement, pour terminer, je voudrais revenir sur la dernière phrase de notre lecture, au v.37 : Que votre oui soit oui, que votre non soit non, tout le reste vient du malin.
Jésus nous exhorte à ce que notre parole soit elle-même un témoignage, par un parler simple, sobre, vrai.
Jésus nous encourage, au cœur de nos sociétés à prendre des positions claires, des OUI qui ouvrent des portes sur des chemins inconnus, des NON qui ferment d’autres portes avec des conséquences imprévisibles, à accepter l’engagement que représente ce OUI ou ce NON, à ne pas utiliser de faux fuyants comme des peut-être…, ou des je ne sais pas… censés ménager la chèvre et le chou.
C’est ainsi que nos contemporains discerneront, à travers nous, le message de Notre Seigneur.
Nos contemporains qui nous prouvent la dérision des serments humains que l’actualité récente nous rappelle, donnant une acuité particulière au propos de Jésus :
- Je ne vous referai pas l’épisode Cahuzac et sa déclaration « les yeux dans les yeux »,
- Et que dire du serment de Trump sur la Bible le jour de son investiture ?
Face à ces serments de pacotille, Jésus propose un OUI ou un NON, qui, dans leur nudité radicale peuvent devenir des instruments d’interpellation de la société.
Alors nous jouerons notre rôle de témoins, aussi petit soit-il, car peu importe que nous soyons petits dans le Royaume, car nous savons que nous y avons déjà notre place, ici et maintenant[15].
Peu importe que nous ayons un petit verre, car notre verre sera plein.
Amen !
François PUJOL
[1] Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous,… et nous avons contemplé sa gloire, la gloire du Fils unique venu du Père… Elle était dans le monde,… et le monde ne l'a point connue.
[2] Matthieu 3, 17 : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection.
[3] Matthieu 6, 9-14
[4] Spatiale : il est tout proche, il suffit de saisir la main qu’il nous tend. Temporelle : il est pour maintenant, ici, et non pas pour un mystérieux au-delà hypothétique
[5] Au nombre de 7, dans Matthieu 13 : du semeur, de l’ivraie, du grain de moutarde, du levain, du trésor dans le champ, de la perle de grand prix, du filet jeté dans la mer.
[6] Et comme si elles ne suffisaient pas, la tradition rabbinique a développé 613 mitzvot (commandements), divisés en 248 commandements positifs et 365 commandements négatifs.
[7] Et aussi Deutéronome (« la seconde loi ») 5, 6-21
[8] La Septante (LXX) est une traduction de la Bible hébraïque en grec, réalisée par 72 (septante-deux) traducteurs à Alexandrie, vers 270 av. J.-C., à la demande de Ptolémée II, pour la diaspora juive. Ces 72 érudits (6 de chaque tribu d’Israël) ont traduit séparément l'intégralité du texte mais, au moment de comparer leurs travaux, ont constaté avec émerveillement que les 72 traductions étaient toutes identiques.
[9] Cette Parole que l’on retrouve au tout début de la Bible, en Genèse 1 : Au commencement était la Parole et la Parole était Dieu.
[10] Devenue dans le Deutéronome « respecte le jour du repos », ce qui est un autre programme…
[11] Voir Jean 3, 16
[12] On pourrait se rappeler ce propos de Nietzsche, dans « L’Antéchrist » : « Quelle est la bonne nouvelle ? La vraie vie, la vie éternelle est trouvée- elle n'est pas promise, elle est là, elle est en vous : comme la vie vécue dans l'amour… Le péché, et toute sorte de relation distante entre Dieu et l'homme, sont abolis - Précisément ceci est la bonne nouvelle »
[13] Éphésiens 2, 8 : Car c'est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu. Ce n'est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie.…
[14] Luc 17, 10 : Quand vous aurez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites: Nous sommes des serviteurs inutiles, nous n’avons fait que ce que nous devions faire.
[15] Jean5, 24 : En vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit en celui qui m’a envoyé, il a la vie éternelle ; il ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie.