Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
Dimanche 29 JANVIER 2017
Trescléoux (05700)

Lectures du jour :
Sophonie 2,2 & 3,12-13
Matthieu 5, 1-12
1 Corinthiens 1,26-31
En marche !
Frères et Sœurs,
Tous les 3 ans revient ce monument, les béatitudes, qui inaugurent le Sermon sur la Montagne, première grande série d’enseignements de Jésus, s’étendant sur 3 chapitres.
Ce texte nous interpelle aujourd’hui, interpelle notre foi, ou du moins, la foi dont nous nous prévalons : « j’ai la foi » ! Mais jusqu’où ? Jusqu’au bout de ces 8 dispositions d’esprit, des premières béatitudes ? Assurément non !
Heureux ! Les hommes qui le suivaient se reconnaissaient-ils dans ce portrait que Jésus dressait ? Ils n’avaient aucune raison de l’être, Heureux ! Pauvres, sans ressources, pleurant souvent, confrontés à toutes sortes d’avanies et de deuils, victimes de lois iniques, bref, la foule qui le suivait c’était la foule des perdants, dans laquelle nombre de nos contemporains se reconnaîtront, et c’est pourtant à eux que Jésus s’adresse, dans son renversement des valeurs auquel il nous habituera[1].
Et puis arrive ce verset 12, Réjouissez-vous parce que votre récompense sera grande dans les cieux assez déstabilisant, car semblant introduire une notion de rétribution.
Les Eglises ont fait leurs choux gras de ces paroles, elles en ont même fait en quelque sorte leur fonds de commerce, ouvrant la porte aux critiques de toutes parts, par exemple :
* de Marx, qui accuse le christianisme d’orienter les regards des fidèles vers le ciel, pour mieux oublier la terre, de promettre une récompense pour après, là-haut, au lieu de prendre en charge les souffrances, ici et maintenant, les Béatitudes semblant prendre acte du fait que dans la vie réelle, certains sont épargnés par les drames de la vie et d’autres, pas. Face à cette injustice, individuelle ou collective, Dieu rétablira la balance.[2]
Les béatitudes de Luc vont encore plus loin dans cette promesse, formulant même des contre béatitudes (Luc 6/24-26) : Malheur à vous…, poursuivant son combat contre les riches et les puissants.
* de Nietzsche, qui considère qu’en valorisant les larmes et la faiblesse des perdants, l’Église (ou Jésus lui-même ?) s’oppose à une morale noble qui doit encourager la force et le dépassement de soi.
Nietzsche relève là une dérive des Eglises qui ont semblé encourager la recherche de la souffrance, comme une offrande à Dieu, pour se mettre en règle avec Lui[3].
* Plus récemment, les nouveaux hédonistes, adeptes du « Épanouissez-vous, pensez à vous, profitez, jouissez de chaque jour », encouragent à suivre un chemin radicalement opposé à celui des Béatitudes.
Alors, que nous disent-elles, aujourd’hui, sont-elles en mesure de résister à ces controverses ?
Et si celui dont il est question dans les Béatitudes, c’était Jésus lui-même ? Le seul, embrassant toutes ces dispositions d’esprit. Relisez-les avec cet éclairage et dans chaque situation que vous rencontrerez, posez-vous la question : qu’aurait fait Jésus ? Et vous verrez, en relisant les Evangiles, qu’à toutes les personnes que Jésus a rencontrées, il n’a jamais fait autre chose que du bien. Alors, des Béatitudes qui diraient « Heureux ceux qui pleurent aujourd’hui, car Dieu en tiendra compte plus tard », ne sont pas les béatitudes des Évangiles.
Les Béatitudes sont une exhortation pour aujourd’hui, ici et maintenant, une exhortation qui s’appuie sur une conviction traversant tous les Évangiles : Dieu nous a créés pour notre bien, pour le bien de tous, c’est le mystère de l’amour de Dieu pour l’Humanité.
Mais les Ecritures ne sont pas dupes. Bien que nos sociétés développées prétendent le contraire, la souffrance est une compagne inévitable de notre parcours terrestre.
La souffrance peut parfois détruire, mais elle peut aussi porter des fruits, nous rendant plus forts, plus ouverts aux autres, lorsque l’on a pu la surmonter.
Mais, en tant que telle, la souffrance n’a aucune vertu. La seule souffrance rédemptrice est celle subie par Notre Seigneur sur la croix, parce qu’au bout de cette souffrance il y a eu la Résurrection.
C’est pourquoi, Jésus est celui qui peut secourir, accompagner ceux qui souffrent, en apaisant, pardonnant, réconciliant, soulageant, guérissant.
Alors, Jésus nous appelle à aller chercher ceux qui vivent des épreuves difficiles, pour leur annoncer qu’ils ne sont pas seuls. Avec Jésus à leur côté, ils peuvent de nouveau penser à un avenir à réinventer.
Alors nous pouvons dire « Bienheureux ceux qui pleurent » parce que le Christ les a rejoints, le Christ est à côté d’eux, fidèle à sa promesse : je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin des temps[4], ce sont là, les toutes dernières paroles de Jésus chez Matthieu (28/20)
Forts de cette promesse, Jésus nous encourage à mener une vie ouverte, à aimer, nous laisser aimer, à espérer, nous préoccuper des enjeux sociaux de notre temps, à faire reculer la violence et les causes de toute souffrance, au risque de quelques échecs et quelques larmes, mais qu’importe car nous aurons alors dans notre cœur un bonheur que personne ne pourra nous retirer, celui de savoir que Jésus est à nos côtés, avec en prime l’assurance que notre vie a du poids, notre vie a du sens.
Celui qui vit en cultivant les rivalités et les rancœurs ne peut rencontrer Dieu, celui qui choisit les rapports de force et l’affirmation de soi ne peut être ami de Jésus Christ, qui nous dit que seuls les humbles et les doux, les pauvres de cœur peuvent rencontrer Dieu.
Mais Jésus ne menace pas ceux qui suivront un autre chemin que celui qu’il propose. Il leur dit simplement qu’ils passeront à côté d’une grande joie, bien plus riche et profonde que les mirages après lesquels ils courent. Et le verset 12 trouve alors un autre éclairage : chacun recevra ce en quoi il croit.
La présence de Jésus le ressuscité auprès des hommes n’a jamais cessé. Génération après génération, il se tient à leurs côtés, et aujourd’hui encore, avec l'aide et le soutien de son Esprit[5], il nous aide à prendre nos problèmes en charge, à prendre notre situation en main en mettant en nous l'énergie dont nous avons besoin pour avancer.
Avancer ! A ce stade, il nous faut nous pencher sur un problème de traduction : Toutes nos traductions utilisent pour ces béatitudes l’expression heureux ou bienheureux, y compris la TOB, s’appuyant sur les textes grecs. Les Béatitudes d’André Chouraqui[6] commencent par En marche ![7],
Heureux, c’est un état, En marche, c’est un mouvement. Heureux !, c’est un constat, En marche !, c’est une injonction, à laquelle nous devons répondre !
Si nous avons cette volonté, Jésus nous prend alors la main et ne nous lâchera plus. Il nous pousse, il nous tire, y compris le jour où nous quitterons cette vie terrestre. Il nous entraînera à sa suite dans l'Eternité où il est déjà. Plus ce chemin de l'éternité se précise, plus sa main se fait ferme, plus sa voix se fait forte, plus nous désirons le garder comme compagnon de route et plus nous sommes heureux en sa présence.
Paul, dans sa lettre aux corinthiens, confirme ce mouvement : vous avez été appelés, dit-il, ajoutant à sa façon, bien que vous ne soyez que des serviteurs quelconques[8], ne vacant qu’à des choses ordinaires.
Ce rappel nous empêche de tirer quelque gloire de nos actions, car c’est Dieu qui agit en nous et non pas nous-mêmes, et donc, comme le disait Luther « A Dieu seul la Gloire[9] » !
Option paradoxale de Dieu pour les gens ordinaires que nous sommes, qui nous oblige à un examen critique des valeurs auxquelles ce monde est attaché : Qui est Riche/pauvre, puissant/faible aux yeux du monde ou aux yeux de Dieu ?[10]
Allons plus loin : vivant/mort, qui est vivant, qui est mort[11] ?
Dieu est le Dieu des vivants[12], il nous dit ce matin : "En marche ! Allez prendre par la main les affligés, les pauvres, les assoiffés de justice, comme Jésus le fait avec vous, et il se produira quelque chose d’inattendu, qui fera de nous, d’eux, des êtres différents.
Pourquoi différents ? Parce que ce faisant, nous sommes, ils sont déjà dans la Vie Éternelle. Ils sont le Royaume de Dieu !
Heureux les hommes et les femmes qui sont en marche, qui marchent debout !
Amen !
François PUJOL[13]
[1] Voir le texte de Paul aux Corinthiens
[2] Le très médiatique philosophe Michel Onfray est également sur cette ligne
[3] Rappelez-vous les flagellations de Saint Louis
[4] On notera l’utilisation du présent de l’indicatif « je suis » et non « je serai. »
[5] Voir Jean 14,15-18
[6] Sa traduction de la Bible à partir de textes originaux, donne un nouvel éclairage à de nombreux passages peut-être trop connus, ce qui peut en donner une lecture superficielle (par exemple ce merveilleux prologue de Jean - 1,1-18)
[7] Aucun rapport avec le chouchou politique des médias ! (à moins qu’il n’ait gardé quelque réminiscence de sa proximité passagère avec Paul Ricœur)
[8] Luc 17,10
[9] J.S. Bach signait toutes ses œuvres : « SDG », Soli Deo Gloria !
[10] « Vous connaissez en effet la générosité de notre Seigneur Jésus Christ qui, pour vous, de riche qu’il était, s’est fait pauvre, pour vous enrichir de sa pauvreté » (2 Cor 8, 9).
[11] Voir Romains 6,23
[12] Affirmation reprise dans les 3 Évangiles synoptiques : Matthieu 22,32 - Luc 20,38 - Marc 12,27
[13] A partir de textes de Jean Besset et Vincent Nême-Peyron