Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

DIMANCHE 02 Février 2014

Culte à Trescléoux (05700)

Lectures du Jour :

Sophonie 2,2 & 3,12-13

Matthieu 5, 1-12

1 Corinthiens 1,26-31

8 fois « heureux »

Frères et Sœurs,

Ce matin, nous avons une chance, notre lecture du jour tombe sur les Béatitudes, chères au cœur des réformés que nous sommes, je vous citerai seulement les 8 boules de notre croix huguenote ou les temples octogonaux (La Rochelle, Monoblet, Rosans).

Ce chapitre 5 de Matthieu est un chapitre riche, voire central : c’est le sermon sur la montagne : « Vous êtes le sel de la terre, la lumière du monde » puis, au chapitre 6 par l’enseignement du Notre Père.

Le Sermon sur la Montagne inaugure l’enseignement de Jésus. Après avoir appris la mort de Jean Baptiste, le temps est venu, il se met en route, et il proclame en chemin : « Convertissez-vous, le royaume de Dieu s’est approché de vous » (4/17), enseignant et guérissant.

Matthieu précise : « il monta sur la montagne », faisant dès ce premier discours, référence à l’AT, à Moïse, mais il y a tout de suite une différence fondamentale : Moïse est monté seul, seul interlocuteur de YHWH, alors que Jésus parle directement à ce peuple, Galiléen, nous sommes dans l’accomplissement des prophéties, en particulier celle d’Esaïe : (8:23) Mais les ténèbres ne régneront pas toujours Sur la terre où il y a maintenant des angoisses: Si les temps passés ont couvert d'opprobre Le pays de Samarie, Les temps à venir couvriront de gloire la contrée voisine de la mer, au-delà du Jourdain, La Galilée, territoire des Gentils.

Annonçant dès le début, l’universalité de sa mission.

Et curieusement il commence son sermon par ces béatitudes, totalement incompréhensibles, ou compréhensibles de travers : je m’explique :

* Elles déclarent heureux, ou bienheureux celui qui se trouve dans des situations qui décrivent plutôt le malheur, de sorte que l’on pourrait en conclure que le bonheur se trouve dans le malheur,

* Elles semblent indiquer une récompense pour celui qui subit ces situations, alors le bonheur, le royaume de Dieu se mériterait-il ?

Voilà 2 questions qui ne cadrent pas très bien avec ce que nous avons retenu de l’enseignement du Christ.

2 séries

Si on les regarde bien, on s’aperçoit que ces béatitudes se découpent en 2 séries :

* La première caractérise des dispositions d’esprit, des comportements, des traits de caractère :

Pauvres en esprit, débonnaires, miséricordieux, ceux qui ont le cœur pur, les artisans de paix,

Autant de traits qui caractérisent l’enseignement et les attitudes de Jésus lui-même, prenant ainsi le contre-pied exact des comportements dominants de nos sociétés, nos sociétés dominées par les orgueilleux, les hautains, comme le dit Sophonie, qui annonce pour ceux-là le jour de colère[1] du Seigneur. Car leurs comportements à eux, ne génèrent que violence, rapports de force, vengeance, turpitudes liées à la soif de pouvoir, affirmation de soi, négation d’autrui, qui expliquent aussi pourquoi nos sociétés vivent si mal, pourquoi le vivre ensemble est en décomposition. Pourquoi les repères qui structurent une société s’envolent les uns après les autres, laissant nos contemporains sans repères.

Alors oui, être débonnaire, miséricordieux, artisan de paix c’est à court terme être sûr de la défaite, être du côté des perdants, c’est faire partie des gens considérés comme des idéalistes un peu naïfs, pour ne pas dire des « béats ».

Mais ces béatitudes posent en filigrane la question suivante : où est l’avenir de l’Humanité, quel est le chemin pour son salut ?

Les béatitudes disent aux disciples de Christ, c’est vous qui êtes sur le bon chemin, vous êtes le sel de la terre, la lumière du Monde, persévérez, n’ayant pas peur, car je suis là. Je comble ce vide qui parfois vous gagne, cette insatisfaction constante propice au découragement. Je suis avec vous tous les jours (au présent), mon amour vous suffit. Alors oui, ceux-là peuvent se dire, « malgré tout », heureux, car ils savent qu’ils sont au bénéfice d’un don, celui de la puissance de Dieu, qui s’est paradoxalement manifestée non dans les dorures des palais, mais sur la croix.

Et nous en venons à la seconde série, encore plus déconcertante :

Il faut rappeler que Jésus a devant lui une foule de petites gens, issue d’une population cosmopolite (on est en Galilée, au nord de Nazareth, (on ne peut pas être plus loin de Jérusalem), où se mélangent des juifs de souche et des immigrés venus d’Assyrie (lorsque la Samarie est tombée en -722). Cette foule attend de Jésus qu’il lui dresse le tableau de tous les malheurs qui l’accablent et qu’il propose des solutions, que lui, vu ses pouvoirs, pourrait mettre en œuvre. On n’attend rien d’autre de celui qui fut annoncé par JB comme celui qui accomplit le dessein de Dieu et pour lequel s’est élevée cette voix que tout le monde a entendue : « Celui-ci… »

Ce sera une confusion constante dans les relations entre Jésus et ses contemporains. Alors pour bien se faire comprendre, il utilise un style parfois abrupt, que l’on retrouvera tout au long de ce Sermon sur la Montagne : « On vous a dit que… mais moi je vous dis que… ». Alors il dit ceci :

Heureux ceux qui sont persécutés, outragés, calomniés, à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux.

Affirmation inacceptable par le peuple, qui, malgré le dimanche des rameaux finira par s’en détourner.

Affirmation source de contresens dans l’esprit des non-croyants : Vous connaissez la célèbre formule de Marx ? («La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, - ça commence plutôt bien - comme elle est l’esprit des conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple»).

Affirmation détournée de son sens comme le dit fort bien un autre non-croyant mais meilleur connaisseur des Évangiles que Marx :

«L’évocation d’un paradis à gagner en acceptant les misères du monde présent a été une véritable drogue évitant la révolte des exploités. La religion catholique n’a pas fini de payer sa compromission avec ce détournement des paroles de l'Evangile»

Car Albert Jacquard, c’est de lui qu’il s’agit, a su discerner quel est le véritable message de Jésus Christ :

Non, la Vie Éternelle, notre résurrection, ne se gagne ni se mérite, c’est un don, non remboursable, dont la contrepartie a été payée une fois pour toutes par la vie du Christ, fils de Dieu

Il est hors de question de comprendre les béatitudes comme la promesse d’une quelconque rétribution. Et pourtant, qui n’a pas entendu cette phrase à propos d’une personne accablée par le malheur « Elle a bien gagné son paradis ».

Quel contresens, auquel je viens moi aussi de céder : en disant « accablée de malheur », j’ai inconsciemment associé souffrance et malheur.

Il n’est pas question de nier la souffrance, de nier la légitimité d’un sentiment d’injustice totale devant des deuils, ni d’enlever aux béatitudes leur force consolatrice pour ceux qui sont persécutés, mais il s’agit de ne pas se laisser anéantir par ces souffrances, confiants en cette promesse des Béatitudes. Et le vide intérieur provoqué par ce qui pourrait devenir une désespérance est comblé par notre confiance en son amour : Se savoir aimé par une transcendance contre laquelle aucune force humaine ne peut lutter, voilà ce qui donne la force de résister à la détresse morale, la force de se relever.

Alors au-delà de ces souffrance et de ces injustices nous pouvons être heureux, non pas joyeux, car nous ne sommes pas « toujours joyeux » (malgré le cantique), mais au bénéfice d’un bonheur/plénitude intérieure de ceux à qui est promis le royaume des Cieux, non pas parce qu’ils auront plus souffert que les autres, mais parce que, malgré ces souffrances, ces persécutions ou simplement les « misères ordinaires de la vie » ils auront gardé leur confiance dans leur Seigneur jusqu’au bout.

Et pour Christ, le vrai malheur, dans ces circonstances, c’est d’être éloigné de Lui, et de la force qu’il peut nous donner, pour résister, rester debout. Voilà pourquoi les béatitudes peuvent être un très beau texte pour accompagner un service d’obsèques.

Mais l’accès à cette qualité de bonheur passe par une rencontre, précédée elle-même par un travail sur soi : rappelez-vous les premières paroles publiques de Jésus : « Convertissez-vous »

Sophonie (notre lecture) est plus précis : « Rentrez en vous-mêmes, examinez-vous » et il ajoute :

« Et alors vous formerez un peuple humble et petit, qui trouvera son refuge dans le nom de l'Éternel. Ce petit troupeau ne commettra point d'iniquité, il ne dira point de mensonges, sa langue ne sera pas trompeuse. il paîtra, se reposera, et personne ne le troublera. » C’est cela, la sérénité.

Depuis les prophètes, Dieu ne cesse de crier « revenez à moi », il nous le dit encore aujourd’hui à travers les paroles de Jésus, mais ce retour vers Dieu ne peut passer que par cette rencontre avec Jésus, une vraie rencontre, au pied de la croix. Et alors, nous deviendrons enfants de Dieu, frères de Christ, héritiers du Créateur/Sauveur : « vous hériterez la terre », vous remarquerez que dans le bouche de Jésus, terre et cieux se confondent puisque la première béatitude se termine par « Le royaume des cieux est à eux », et au passage vous relèverez l’utilisation du présent : (celui qui croit en moi…)

Heureux, nous ne le serons pas dans un avenir aussi lointain qu’incertain, mais nous pouvons l’être dès aujourd’hui, ici et maintenant.

Ces Béatitudes ne s’adressent pas aux seuls croyants, elles s'adressent à quiconque plie sous le poids de la vie et cherche à qui parler, à qui cherche une porte de sortie, par le haut. Cette porte de sortie, c’est ce mot Heureux ! Heureux non pas celui qui souffre, mais celui qui est réconcilié avec son Créateur, par Christ Notre Sauveur. Heureux car il peut se relever, marcher, debout, Jésus lui tient la main, et avec Lui il est déjà ressuscité. Il est déjà dans la Lumière. Le soleil n’est pas encore levé, mais c’est déjà l’aube, l’aube d’un jour nouveau pour un homme nouveau, une femme nouvelle.

Amen !

François PUJOL

[1] Le « Dies Irae » des requiem