Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 26 novembre 2017

Trescléoux (05700)

Lectures du jour :

Ézéchiel 34, 11-17,

1 Corinthiens 15, 20-28,

Matthieu 25, 31-46

Christ incognito

Frères et sœurs, ce texte de Matthieu, déroutant pour le moins, semble en contradiction avec tout ce que nous savons par ailleurs de Jésus-Christ.

Ce Christ Roi présenté aujourd’hui par Matthieu, juge inflexible de l’humanité toute entière est-il le même que celui qui dit à la femme cananéenne va ta foi t’a sauvée, celui qui sauve la femme adultère de la lapidation, celui qui guérit l’aveugle né, le sourd muet, celui qui s’invite chez Zachée, qui pleure devant le tombeau de Lazare ?

Assurément oui !

Alors, comment comprendre ce texte ? Au premier degré, c’est-à-dire en imaginant Jésus tenant, à la fin des temps, une balance symbole de la justice humaine et pesant nos bonnes et mauvaises actions, ou bien au contraire, ne retenir qu’une partie du texte et considérer comme Polnareff que nous irons tous au paradis ?

Attention à ne pas faire fausse route !

* Voyons d’abord où se situe ce texte dans l’Évangile de Matthieu. Tournez la page : il ne reste que 3 chapitres et dès le 26°, la passion du Christ commence juste après ce passage, il était donc important de réaffirmer une dernière fois que Christ ne cessera, malgré tout ce qui va suivre, d’être le Roi tout puisant pouvant tenir la vie éternelle de chacun dans sa main, rappelant au passage, presque mot pour mot, cette prophétie d’Ézéchiel[1].

* Voyons maintenant où se situe ce passage dans notre année liturgique : dimanche prochain est le premier dimanche de l’Avent et commencera pour nous cette attente, cette espérance d’un nouveau Noël.

Avant d’essayer de voir comment ces deux approches sont en cohérence, il faut aussi rappeler ceci :

* Matthieu écrit ce texte 30 ou 40 ans après les épîtres de Paul. Il s’adresse à la seconde génération. On est loin des premières communautés décrites dans les actes des Apôtres par Luc, qui mettaient tout en commun[2], dans la joie et l’espérance d’un retour prochain du Christ ressuscité[3].

La génération suivante, victime de persécutions, se lasse d’attendre. Certains envisagent donc de se retrancher de ce monde hostile en attendant le retour du Christ.

Alors Mathieu entreprend une sorte de catéchisme pour mettre les points sur les i, rappeler quelques fondamentaux, pour éviter quelques confusions.

La culpabilité

La drame est que l’institution ecclésiale (y compris dans notre propre famille) a détourné ce texte de son intention initiale pour en faire un instrument de pouvoir, de pression sur les fidèles, en leur expliquant qu’ils sont tous coupables et qu’ils doivent se racheter, pour éviter le châtiment qu’ils méritent.

D’où ces flagellations, ces marchandages autour des indulgences, faisant entrer les fidèles dans une démarche de rétribution totalement étrangère au message évangélique[4].

Aujourd’hui, les églises sont remplacées par les médias qui chaque jour nous culpabilisent, nous passant en boucle des images qui nous jugent, s’érigeant en procureurs autoproclamés, sans faire pour autant avancer d’un pouce l’Humanité vers des solutions. Car pour avancer il faut pouvoir se projeter dans l’avenir, avoir un projet de vie, une espérance, individuelle et collective. Cette espérance, qui disparait peu à peu de nos sociétés développées, c’est justement le message constant de notre Nouveau Testament.

Notre espérance c’est que les choses peuvent changer, l’avenir n’est pas une menace, car il sera ce que nous en ferons, mais l’Humanité ne peut pas changer si chacun des individus qui la composent ne change lui-même au plus profond de son intimité, c’est à dire dans son cœur. C’est ce que nos contemporains continuent d’oublier, vouant tous leurs projets politiques à l’échec, y compris les plus nobles sur le papier.

De Noël à Pâques

Alors, oui, ce texte doit être lu, même si ce n’est pas évident, comme un texte d’espérance.

Et cette espérance nous renvoie simultanément vers Noël et Pâques :

* Cette lecture, ce matin, rappelle à ses auditeurs que malgré ce qui va se passer juste après, la passion du Christ, son jugement par les hommes, sa crucifixion, Jésus est un roi, mais dont le royaume n’est pas de ce monde, c’est à dire n’est pas du monde tel que les hommes l’on fait[5].

*En ce temps de l’avent, temps d’espérance s’il en est, trois savants se sont mis en route, emplis d’une espérance : aller rendre hommage à un roi nouveau-né. Après un long voyage, devant le seuil d’une étable, dans une petite ville de province, ils savent qu’ils sont arrivés et, nous dit Matthieu[6] ils sont remplis d’une immense joie (2/10).

Que cette espérance et cette joie soient les nôtres tout au long de ces 4 semaines qui s’ouvrent devant nous.

L’option préférentielle pour les petits

Mais peut-on vraiment parler d’espérance à la lecture de ce texte, qui aurait plutôt tendance à déclencher des questionnements angoissés : de quel côté serais-je à l’aune de ce jugement ? À droite, à gauche, avec les brebis, avec les chèvres ?

Voilà les questions qu’il ne faut pas se poser !

On ne devient pas frère du Christ, en fréquentant le Temple, après de longues études de théologie, en faisant la charité pour nous prouver à nous-mêmes que nous avons la foi, on devient frère du Christ en se dissolvant dans le monde, confiant en l’accomplissement de sa prière[7] : je ne te demande pas de les retirer du monde, mais de les préserver du mal.

Pourquoi Jésus nous parle-t-il de ces « petits », nus, affamés, assoiffés, errants d’un pays à l’autre, malades, prisonniers ?

Ce sont tous ceux que l’Humanité laisse au bord de la route. Fonctionnant selon le principe des rapports de force, tous ces petits ne l’intéressent pas, sauf si elle peut les asservir encore un peu plus.

Cela doit nous parler spécialement aujourd’hui, où dans tous les pays, l’écart entre riches et pauvres n’a jamais été aussi grand. Et certains osent parler des progrès de l’Humanité !

Frères en Christ, notre mission est, dans les actes les plus modestes, mais sans relâche, de contribuer à remplacer ce principe du rapport de forces par le principe de réciprocité, la Règle d’Or.[8]

Oui, il est temps pour nous de nous rappeler tous les samaritains qui ont croisé notre route, nous ont spontanément tendu la main et nous ont aidé à nous relever, puis s’en sont allés.

Jésus disait à ses disciples qui se chamaillaient encore une fois : Celui qui voudra être le plus grand d’entre vous, qu'il soit d’abord votre serviteur.[9]

Il est temps de nous faire, à notre tour, serviteurs de ces petits, par un élan spontané, l’élan du cœur, sans calcul, et nous découvrirons que derrière chaque visage se cache, incognito, Jésus lui-même, Jésus le crucifié frère de souffrance de ces petits, mais aussi le Christ ressuscité, vainqueur de toutes les morts, physiques ou morales.

Nous (re)découvrirons ainsi le sens de ce mot tombé en désuétude : l’altruisme. Tout simplement prendre soin de l’autre, notre prochain.

Et c’est ainsi que nous ferons advenir, ici et maintenant, le règne de Dieu sur la terre comme au ciel, c’est nous qui serons les acteurs de l’exaucement de notre prière[10].

La grâce

Alors oui, ce texte est un texte d’espérance pour ceux qui auront reconnu un jour Jésus comme leur Seigneur, car il se termine par cette phrase : les justes iront à la vie éternelle. Et puisque nous sommes au cœur des commémorations de Luther, nous sommes justes, parce que justifiés par Christ sur la croix, ce qui nous met définitivement au bénéfice de la Grâce. Un tel cadeau, un tel don ne peut se mériter, on le reçoit dans la repentance, mais un tel cadeau, un tel don, ne doit pas être galvaudé.

La fin des temps (pour conclure)

Pour conclure, et puisque Matthieu décrit ce que l’on a coutume d’appeler le jugement dernier, pour vous parler franchement, je n’ai aucune idée de ce que pourrait être cette fin des temps. Je ne spécule pas sur cette question ni sur quand cela pourrait arriver, contrairement à certains augures qui nous annoncent que cette fois le point de non-retour est engagé, que l’humanité elle-même est en maintenant en danger ; ou comme certains de de nos frères, qui lisent et relisent l’Apocalypse de Jean et en particulier ses chapitres 2 et 3[11] pour y discerner des signes.

Je ne sais pas qui sera autour de la table lors de ce banquet final sur lequel nous avons médité il y a peu, avec la prophétie d’Esaïe[12].

Je ne sais pas si certains auront de grands verres, d’autres de petits verres, mais je sais que chacun aura son verre plein.

Je ne sais pas si je serai comptable de ce que j’aurai sans le savoir, fait ou pas fait, dit ou pas dit, mais je sais que chaque matin Jésus me redit « va, ta foi t’a sauvé », et je fredonne alors ce refrain : lorsque mon cœur est lourd et que mon ciel est noir, je me dis tout bas, pour reprendre courage, « Un jour ça changera, Oui, le Seigneur reviendra »[13].

Amen !

François PUJOL

[1] On remarquera dans notre lecture du jour (Ézéchiel 34/16), que ce juge Eternel est aussi celui qui cherchera la brebis perdue, ramènera celle qui était égarée, pansera celle qui est blessée, et fortifiera celle qui est malade.

[2] Actes des Apôtres 2/45 et ss

[3] La question étant de savoir si Jésus a dit « je reviens » ou « je viens ».

[4] Résumé en Jean 3/16 : Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. Dieu, en effet, n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour qu'il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.…

[5] A méditer : Jésus n’a jamais dit « Mon royaume n’est pas de cette planète »

[6] Qui est le seul à parler de cette venue.

[7] La « prière sacerdotale » : Jean 17

[8] Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le de même pour eux (Luc 6/31, Matthieu 7/12),

[9] Matthieu 20/27, Marc 10/43

[10] Ce qui donne un tout autre sens à l’aphorisme « Aide-toi, le ciel t’aidera ».

[11] Lettres aux 7 églises censées, selon certains, indiquer les différentes périodes de la vie de l’Église universelle, depuis l’enlèvement du Christ. Le jeu consiste à trouver des signes indiquant que nous serions dans le temps de la dernière église, donc tout-proches de la fin des temps.

[12] Méditation du 15 Octobre

[13] Cantique du recueil « Cœur en fête », paroles et musique du pasteur Alain Burnand, de Lausanne