Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 30 octobre 2011

Trescléoux (05)

Lectures du Jour :

Matthieu 23, 1-12

Malachie 1,14-2,10

1 Thessaloniciens 2,7-13 (voir également méditation sous cette référence, le 02/11/2014)

Fête de la Réformation : le Sacerdoce Universel

En ce dimanche, nous célébrons le dimanche de la Réformation, commémoration de l'affichage par Luther en 1517 de ses thèses sur le portail du château de Wittenberg, acte fondateur de ce qui deviendra le vaste mouvement de la Réforme.

Une telle commémoration est l'occasion de nous rappeler les principes fondamentaux de la Réforme, qui servent de fondement à notre Eglise, l'occasion aussi de remercier Dieu pour toute cette histoire qui nous précède, cette tradition dans laquelle nous trouvons notre nourriture spirituelle, pour cette nuée de témoins de la foi qui nous aident dans notre propre parcours spirituel.

Le danger de cette fête de la Réformation est toutefois de nous complaire dans une satisfaction béate, dans une sorte de fierté d'appartenir "au bon camp"… La devise de la Genève Réformée est en cela caractéristique de cet orgueil spirituel: "Post tenebras…Lux", Après les ténèbres…la lumière, comme si tout ce qui était avant la Réforme n'avait été que ténèbres…Comme si l'Evangile avait disparu durant 15 siècles d'histoire…Et comme si tout était "lumineux" dans le mouvement historique de la Réforme…et dans la Genève de Calvin!

Il nous faut aussi avoir la vraie lucidité qui est de regarder notre histoire et nos Eglises sans masquer leur défaut et leur côté très humain! Fêter la Réformation devrait donc nous replacer sous la seule Parole de Dieu et la Grâce du Christ qui ont été mis en avant par les Réformateurs et nous permettre un regard plus critique sur nous-mêmes et notre histoire: qu'avons-nous fait, dans nos Eglises et paroisses qui nous réclamons de la Réforme, de cet héritage spirituel? Avons-nous toujours été fidèles au souffle des premiers Réformateurs?

Ce dimanche, à partir de l’Évangile du jour, qui est le texte lu et médité aussi dans toutes les églises catholiques du monde en ce dimanche, j'aimerais m'arrêter sur un principe fondamental de la Réforme qui n'est peut-être plus bien compris et surtout plus bien vécu aujourd'hui dans nos Eglises : "Le sacerdoce universel de tous les chrétiens"… Terminologie un peu barbare, mais qui signifie simplement que tous les chrétiens sont égaux devant Dieu, qu'il n'y a pas d'un côté des prêtres avec leur pouvoir et de l'autre des laïcs qui devraient se contenter d'obéir, mais que tous les chrétiens de par leur baptême sont établis comme prêtres de Dieu… 

Cela découle en droite ligne des paroles de Jésus dans l’Évangile: "Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n'avez qu'un seul enseignant, et vous êtes tous frères. Ne donnez à personne sur la terre le nom de Père, car vous n'avez qu'un seul Père, celui qui est aux cieux. Ne vous faites pas non plus appeler maîtres, car vous n'avez qu'un seul maître, le Christ». Paroles on ne peut plus claires, qui interdisent en quelque sorte toute hiérarchie au sein de l'Eglise qui se réclame du Christ. Il n'y a qu'un seul intermédiaire entre Dieu et les hommes, c'est Jésus Christ, donc il n'y a plus besoin d'intermédiaires humains. Nous tous, les baptisés, sommes frères et sœurs, tous à égalité de responsabilité devant Dieu, même si nous pouvons, bien sûr, avoir des ministères différents dans l'Eglise. Ces ministères, ces fonctions au service de la communauté ne sont pas -ou en tout cas ne devraient pas être- l'occasion de se sentir supérieur aux autres membres de l'Eglise, d'exercer un quelconque pouvoir sur les hommes, mais ce devrait être seulement un service! C'est bien aussi le seul critère donné par Jésus: "Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s'élèvera sera abaissé, qui s'abaissera sera élevé".

Du temps de Jésus, cela déjà remettait fondamentalement en question la hiérarchie juive, basée sur le culte du Temple et ses rites sacrificiels. Tout cela devient caduc à partir du moment où Jésus est l’Unique Grand Prêtre, l'Unique Intermédiaire entre Dieu et les hommes et la classe sacerdotale n'a plus alors de raisons d'être! Les premiers apôtres comprennent bien cela en affirmant de chaque baptisé qu'il est en même temps le «Temple de l'Esprit saint», le lieu donc de la présence du Sacré dans le monde et que l'Eglise est un "peuple de prêtres", comme l'affirme Pierre.

Luther n'invente donc rien quand il réaffirme ce principe, il remet simplement à jour une vérité profondément évangélique, à une époque où la hiérarchie ecclésiastique était devenue toute puissante et s'arrogeait tous les pouvoirs, notamment sur les consciences. Luther écrit ces mots dans son manifeste réformateur : "Appel à la noblesse chrétienne de la nation allemande": "On a inventé que le Pape, les Évêques, les Prêtres, les gens des Monastères, seraient appelés état ecclésiastique, les Princes, les Seigneurs, les artisans et les paysans, l'état laïque- ce qui est certes une fine subtilité et une belle hypocrisie. Mais personne ne doit se laisser intimider par cette distinction, pour cette bonne raison que tous les chrétiens appartiennent vraiment à l'état ecclésiastique. Il n'existe entre eux aucune différence, si ce n'est celle de la fonction, comme le montre Paul (1 Cor 12,12ss) lorsqu'il dit que nous sommes tous un seul corps, mais que chaque membre a sa fonction propre, par laquelle il sert les autres, ce qui provient du fait que nous avons un même baptême, un même Evangile et une même foi (cf. Ep 4, 4 ss) et sommes chrétiens de la même manière, car ce sont le baptême, l’Évangile et la foi, qui seuls forment l'état ecclésiastique et le peuple chrétien….En conséquence, nous sommes absolument tous consacrés prêtres par le baptême"

Cela signifie une immense dignité de chaque chrétien, mais aussi une très grande responsabilité! Etre prêtre, ce n'est pas rien! S'il n'y a plus d'intermédiaire humain entre Dieu et le croyant, il faut que chacun puisse connaître par soi-même la vérité biblique; il y a donc tout un travail d'instruction, d'études, de catéchismes, qui a été effectué au début de la Réforme pour que chacun puisse se faire en conscience une opinion libre au sujet de sa foi. Les théologiens et pasteurs étaient là pour aider les fidèles à se forger leurs convictions personnelles, de par leur connaissance des textes sacrés, mais pas pour imposer d'en haut une Vérité magistérielle. Voilà l'idéal de la Réforme, qui est encore visible dans l'organisation de nos Eglises, où le pouvoir repose sur la base, c'est-à-dire aux assemblées de paroisse où chacun devrait avoir son mot à dire pour la bonne marche de l'Eglise. Il est évident que malheureusement, car c'est bien humain!, très vite les pasteurs ont été tentés de devenir une élite dans la communauté, de rétablir des prérogatives et des privilèges, et d’instituer une nouvelle hiérarchie au sein de l'Eglise qui n'aurait rien à envier à la hiérarchie catholique romaine! Le risque n’est plus un pouvoir du prêtre qui serait l'intermédiaire sacramentel entre Dieu et l'homme…mais plutôt le pouvoir intellectuel et théologique qui pèserait tout autant dans nos Eglises de la Réforme…et dans nos paroisses. Ce n'est pas la théologie de nos Eglises qui est en cause, mais plutôt la psychologie des pasteurs… et ce n'est pas évident à changer!

Mais je crois qu'il y a une autre dérive importante qui est notre affaire à tous! Nous avons vécu dans le protestantisme ce "sacerdoce universel" de manière très individualiste. Cela a abouti à cette perte de sens communautaire que nous déplorons aujourd'hui dans nos Eglises. Si chacun est prêtre, s'il n'y a pas besoin d'intermédiaire entre Dieu et les hommes, cela conduit à la solitude de l'homme protestant, lisant sa Bible, se forgeant des convictions, dans le seul à seul de sa conscience et de son Dieu. On a progressivement laissé tomber le culte communautaire, la fréquentation des sacrements, qu'on considérait comme des relents du ritualisme catholique, le partage de la foi avec d'autres… Et Boileau avait raison de se moquer ou de s'irriter quand il affirmait : "tout protestant, une Bible a la main, se prend pour le pape!" … Comment ne pas voir que cet individualisme n'a rien d'évangélique!

Jésus parle à la communauté chrétienne en affirmant que tous ses membres sont frères! Et Pierre parle de l'Eglise comme nation sainte et peuple de prêtres… La dimension communautaire est ici primordiale! Le sacerdoce universel ne signifie pas que chacun est un prêtre solitaire dans son coin, mais au contraire un prêtre pour les autres membres de la communauté, un prêtre solidaire de tous ses frères et sœurs! Le sacerdoce universel ne se traduit pas par la volonté individualiste d'avoir raison seul contre tous… mais bien par la mise en commun de notre foi, notre espérance et notre amour pour nous entraider sur notre chemin spirituel…C'est pourquoi Jésus résume bien tout son propos en mettant l'accent sur le service mutuel : "Le plus grand parmi vous sera votre serviteur", à l'image de Lui même le Maître qui s'est fait le serviteur de tous!

Quelle est en effet la fonction principale du prêtre? C'est d'apporter la bénédiction de Dieu aux hommes et d'apporter la prière des hommes à Dieu… C'est ainsi qu'il est véritablement un intermédiaire… Jésus et la Réforme n'ont pas voulu supprimer cette fonction, mais ils affirment que cela n'est pas réservé à une classe spéciale de personnes… Comme le disait Luther: " Nous sommes absolument tous consacrés prêtres par notre baptême!"…Nous ne devons donc pas déléguer à des personnes spéciales cette dignité et cette responsabilité, mais nous pouvons essayer de vivre notre prêtrise… chacun, là où il est placé peut être un relais de la bénédiction de Dieu pour autrui, simplement par sa présence, son attention, son silence ou sa parole parfois… Il n'y a pas besoin de gestes religieux spécifiques, c'est simplement en étant là pour l'autre, en l'écoutant dans ses difficultés, en l'aidant à affronter les revers de la vie que chacun peut se faire porteur de cette bénédiction divine… Et en même temps chacun peut apporter à Dieu les prières de ceux qui nous entourent, devenir des intercesseurs et des porte-paroles pour tous ceux qui n'arrivent peut-être plus à prier, qui sont accablés… Là aussi, nous remplissons notre fonction de prêtres… On le voit bien, il n'y a aucun pouvoir, mais un service et une responsabilité confiée à chacun de nous! Et pas seulement au pasteur ou au diacre! Pour l'édification de notre Eglise!

Aujourd'hui, ce qui nous menace, ce n'est plus tellement le pouvoir hiérarchique, c'est plutôt l'individualisme qui ne saisit plus l'importance de la vie d'Eglise… Que nous puissions ressaisir le sens du "sacerdoce universel de tous les croyants" et devenir vraiment un peuple de prêtres, pour nous bénir et nous porter les uns les autres.

Amen !

Jean Jacques Veillet