Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

DIMANCHE 19 Octobre 2014

Culte à Trescléoux-05700

Lectures du Jour :

Esaïe 45,1 & 4-6

Matthieu 22, 15-21

1 Thessaloniciens 1,1-21

« … Ce qui est à Dieu»[1]

« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».

Vous avez tous entendu cette parole de Jésus, tout le monde la connaît et son sens parait évident : Ne mélangez pas le temporel et le spirituel, séparez bien les affaires terrestres qui sont le domaine des gouvernements, quels qu’ils soient, et les affaires spirituelles qui sont gérées par les Eglises.

Cette interprétation, cette séparation, arrange bien les politiques qui d’une manière générale considèrent que les Eglises n’ont pas à se mêler de leurs décisions dans quelque domaine que ce soit.

Cela parait simple, évident et sans réelle portée.

On peut même ne voir dans cette parole qu’un bon mot qui aurait permis à Jésus d’éviter de répondre à une question difficile.

Et pourtant, Matthieu, Marc et Luc rapportent cette parole et son contexte de manière quasiment identique. Et on la trouve déjà dans l’Evangile primitif de Thomas. C’est dire qu’elle a vraiment une autre portée que ce que nous avons compris au premier abord.

Il nous faut donc, pour essayer de comprendre sa vraie signification, relire attentivement le récit de cette confrontation entre Jésus et ceux qui lui tendent un piège.

Jésus enseigne dans le Temple de Jérusalem.

« Alors les pharisiens allèrent tenir conseil afin de le prendre au piège en le faisant parler. Ils lui envoient leurs disciples, avec les Hérodiens. »

Les Pharisiens veulent forcer Jésus à se compromettre en lui posant une question dont la réponse ne puisse être qu’inadmissible, que ce soit pour les pharisiens, dont les disciples seront là, ou pour les hérodiens venus avec eux. Les pharisiens, qui obéissent à la Loi et les Hérodiens, qui sont soumis au pouvoir de Rome par l’intermédiaire du roi Hérode n’ont à priori aucun intérêt commun, sauf de garder une stabilité dans leur coexistence. Et cette stabilité est menacée par les enseignements et les agissements de Jésus.

« Ils lui dirent: Maître, nous savons que tu es franc et que tu enseignes les chemins de Dieu en toute vérité sans te laisser influencer par qui que ce soit, car tu ne tiens pas compte de la condition des gens.

Dis-nous donc ton avis: est-il permis, oui ou non, de payer le tribut à César? ».

L’entrée en matière n’est pas fausse, c’est même un bel hommage rendu à Jésus, destiné seulement à le mettre en condition en lui parlant comme à un théologien réputé dont on sollicite l'avis. « Est-il permis? » C'est la formule consacrée pour consulter un rabbin sur un cas de conscience non directement prévu par la Loi.

La Torah n'a évidemment pas prévu l'occupation romaine et la question du paiement du tribut à César devait faire l'objet de discussions d'école. Mais la poser publiquement à Jésus, c'est lui tendre un piège fort habile. Quoi qu'il réponde, Jésus se mettra dans un cas grave. S’il déclare que le refus de l'impôt est un devoir d'obéissance à Dieu? Les Hérodiens s'empresseront alors d'aller le dénoncer aux autorités romaines comme un dangereux propagandiste d'idées subversives! S’il dit au contraire qu'il faut payer l'impôt: il risque de s'attirer colère et mépris de la part des pharisiens et plus généralement des foules juives, qui haïssent ce signe de leur assujettissement au pouvoir païen de l'occupant.

« Mais Jésus, s’apercevant de leur malice, dit: Hypocrites, pourquoi me tendez vous un piège? »

Jésus a vu la « malice » de ses questionneurs, et il dénonce leur « hypocrisie », à savoir qu'ils font semblant d'être préoccupés par une question d'actualité, alors qu'ils n'ont pas d'autre but que de le faire trébucher

Mais voyons comment il s'en sort. Il poursuit:

« Montrez-moi la monnaie qui sert à payer le tribut. Ils lui présentèrent une pièce d’argent. Il leur dit: cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles? Ils répondirent: de César. »

Pour déjouer le piège, Jésus est très habile. Il retourne la question à l'envoyeur et va mettre ses adversaires dans l'embarras :

On sait qu'à mi-chemin entre résistants et collaborateurs, les Pharisiens restaient des patriotes juifs dans leur for intérieur. Ils souhaitaient la libération de leur peuple avec la venue du Messie mais ils se soumettaient, bon gré, mal gré, en attendant, au régime imposé par les Romains. En faisant cette demande apparemment anodine : « montrez-moi la monnaie qui sert à payer le tribut », Jésus les amène à tirer une pièce de leur bourse. Et l’on voit que leur résistance toute spirituelle ne les empêche pas d'avoir en poche de l'argent romain parce que c’est nécessaire pour vivre!

Jésus ne leur reproche pas ce compromis. Il les pousse simplement à reconnaître publiquement leur pratique pour qu'ils en tirent les conséquences logiques: Il pourrait leur dire :

Vous vous servez de cet argent, parce que vous vivez dans le système régi par « César », par l'état romain. Vous n'êtes pas entrés en rébellion. Dès lors, il est normal que vous donniez à l'Etat les moyens qu'il réclame pour administrer le pays.

Mais il résume simplement :

« Rendez à César ce qui est à César! »

César assure l’organisation, le fonctionnement, la défense de la société. C’est le domaine de l’Etat. Tant qu’il laisse la population libre de pratiquer sa religion, il est juste de lui assurer les moyens de sa gestion.

Mais que dire de la seconde partie de la fameuse réplique:

«…rendez à Dieu, ce qui est à Dieu. »

S'agit-il de deux domaines parallèles, comme l’imaginent ceux qui, comme nous l’avons vu au début, voient dans cette parole une stricte séparation des domaines: le temporel et le spirituel, la politique et la religion. Dieu serait-il confiné dans le domaine privé de la foi et de la pratique religieuse?

Pour bien comprendre « ce qui est à Dieu », il faut se référer à l’essentiel du message biblique.

César a fait les pièces de monnaie à son image, symbole de son pouvoir économique et politique. Et la Genèse nous dit que « Dieu créa les humains à son image » Le parallèle est frappant, et la référence à l’effigie de l’empereur sur la monnaie romaine peut être, de la part de Jésus, une allusion que les pharisiens pouvaient comprendre : Le domaine de Dieu est l’homme, dans toutes ses composantes.

Jésus ne considère donc pas que le domaine de Dieu se limite au salut de l'âme, ou que seule la pratique religieuse relève de son autorité. Comme les prophètes d'Israël, il considère au contraire que la volonté de Dieu doit régir toutes les relations humaines. Il l'a vigoureusement rappelé aux pharisiens obsédés de pureté rituelle: « Vous négligez ce qui est le plus important dans la Loi, la justice, la miséricorde et la fidélité », c'est-à-dire tout ce qui est résumé par le grand commandement de l'amour du prochain.

Dès lors, « rendez à Dieu ce qui est à Dieu » n'est pas le simple rappel des devoirs religieux à côté du devoir civique. César et Dieu ne sont pas côte à côte, mais Dieu est bien au-dessus de César qui doit lui aussi lui rendre des comptes!

C'est cette phrase finale qui est la plus importante dans la réplique de Jésus. C'est une exhortation positive, mais aussi agressive, à l'adresse de ses interlocuteurs pharisiens. On pourrait l’entendre dire : Au lieu de me chercher noise avec vos pièges subtils, demandez-vous si vraiment vous rendez à ce Dieu que vous prétendez servir, tout ce qu'il réclame de votre obéissance de croyants. Ne croyez pas qu'il se contente de votre piété ostentatoire ou de votre rigueur morale qui vous fait condamner ceux que vous qualifiez de « pécheurs ». Rappelez-vous que Dieu regarde avant tout votre pratique sociale. Il ne vous fera pas grief du compromis avec le pouvoir, que vous ne pouvez pas éviter, mais il vous jugera sévèrement si vous n'exercez pas la miséricorde envers les pauvres et les opprimés de votre peuple.

Rendez à Dieu ce qui est à Dieu:

Cette petite phrase prononcée à l'occasion d'une question piège est finalement bien plus révolutionnaire que le refus de l'impôt à César. C'est une affirmation du droit de Dieu sur toute notre vie, une condamnation de tout ce qui, dans nos sociétés, tend à détruire l'image d’un Dieu qui réside en tout homme, condamnation de tout ce qui contribue à avilir, aliéner, opprimer des individus ou des groupes sociaux. Le droit de Dieu est lésé quand les droits de l'homme sont bafoués. Rendre à César l'honneur légitime qui lui est dû, c'est aussi savoir le contester ou lui résister quand il n'est plus le garant d'une justice égale pour tous!

Rendez à Dieu ce qui est à Dieu!

Cette petite phrase nous interpelle encore aujourd'hui. Que nous dit Jésus ? : Vous avez été créés par Dieu, vous êtes enfants de Dieu, mais il vous a donné votre liberté. N’en faites pas mauvais usage. Restez ou redevenez ses enfants. Montrez concrètement que la volonté souveraine de notre Dieu est que soit restaurée en tout être humain l'image de son créateur.

Dieu ne nous demande pas de changer le monde. Il attend de nous que nous suivions sa volonté, à notre modeste place, avec courage et persévérance, dans l'accueil fraternel de l'autre, dans le respect et l'amour du prochain.

Amen !

Jean Jacques Veillet

[1] A partir d’un texte de Charles L’Eplattenier, pasteur et bibliste retraité à Gap.