Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

DIMANCHE 12 octobre 2014

Culte à Trescléoux-05700

Lectures du Jour :

Esaïe 25, 6-9 (voir également sous cette référence, méditation du 15/10/2017)

Matthieu 22,01-14

Philippiens 4, 12-20

Patois de Canaan

Le patois de Canaan vous connaissez ? C’est le nôtre ici au temple quand nous entonnons des cantiques à Dieu, « Roi des rois » quand nous proclamons dans notre liturgie qu’il est Maître ou Seigneur, quand nous le prions « Notre Père », des termes que nous n’utiliserons jamais hors du temple pour parler de Dieu, s’il nous arrive d’en parler.

Pourquoi ?

Parce que nous sentons bien que ces mots, roi, maître et même père, ne seront pas partagés chez tout un chacun avec qui nous vivons, à commencer par ceux dont nous sommes nous-mêmes pères ou mères, sans parler des ouvriers aux prises avec leur patron, voire ceux qui n’ont aucune envie d’obéir au pouvoir en place, royaliste ou républicain.

Dans Matthieu 21, Jésus entre dans le temple de Jérusalem. C’est le domaine des religieux, chefs des prêtres etc. Ils y sont à l’abri des contestations du dehors, là où germent les vraies attentes. Ces gardiens des traditions répètent les mêmes mots, parlent de Dieu dans les mêmes termes depuis des siècles. Sont-ils compris alors que leurs contemporains sont aux prises avec des pouvoirs politiques, le roi Hérode, le gouverneur Pilate, dans des conditions économiques et sociales insupportables. Ceux-là comprenaient très bien le sens de la parabole des ouvriers de la 11e heure. Mais peuvent-ils encore reconnaître la volonté de leur Dieu dans les conditions de leur vie ?

Un sujet épineux :

Jésus a besoin de trois paraboles pour s’expliquer. C’est souvent le chiffre dont il a besoin lorsqu’il veut faire le tour d’une question. Tout d’abord en Matthieu 21, 28/31 puis Matthieu 21, 33/41, enfin Matthieu 22, 1/14, Jésus reprend là des images traditionnelles de Dieu, le Père, le maître, le roi mais comme s’il voulait les contester :

1° parabole : Dieu et Père avec tous ses droits naturels. Or on se retrouve face à une traditionnelle révolte d’adolescents qui traînent les pieds, tous les parents et tous les anciens enfants vont s’y reconnaître. Nous voilà alertés : comment les enfants actuels ou anciens enfants entendent-ils, eux, ces mots « Dieu le Père »

2° parabole : L’image du « Dieu patron » c’est-à-dire celui qui fait vivre ses employés, donc décide de leur existence : résultat, une violente molestation avec séquestration des cadres et mêmes assassinat. On voit que de tout temps les rapports ont été tendus entre ouvriers et patrons. Alors, pourquoi placer Dieu dans ce rôle ?

3° parabole : l’image de Dieu-Roi, celui qui fait la Loi et exige obéissance sans explication. Du coup, malgré le miroitement d’un festin, voilà le roi de la parabole suscitant une réaction libertaire et anarchisante impossible à maîtriser. Chacun a mieux à faire pour son propre compte.

Dans ces trois paraboles, Jésus force de plus en plus le trait, jusqu’à la troisième : celle des invités forcés ou le roi Dieu est franchement insupportable : arbitraire (la contrainte de l’invitation) désinvolte (il ne tient en rien compte de la vie personnelle des invités), despotique jusqu’à la violence, absurde enfin, quand un malheureux est expulsé parce que ses vêtements ne sont pas des vêtements de fête.

Voilà, dit Jésus aux religieux, l’image de Dieu que reçoivent de vous les gens. Comment n’auraient-ils pas envie de le contester et c’est toujours d’actualité quand nous voyons d’un côté des religiosités insupportables et de l’autre en réponse un athéisme totalement négatif.

Or Jésus, étonnamment moderne, répond aux uns et aux autres en acceptant de mettre en question ces idées reçues : Dieu-Père Dieu-maître, Dieu-roi. Expressions que l’on entendra nous-mêmes remises en question par nos enfants, nos collègues de travail, tous ceux qui contestent ces politiques toujours nouvelles mais toujours les mêmes.

Quelle révélation de Dieu nous apporte Jésus ?

Tout en remarquant que ses paraboles ne sont pas lâchées en public, ce sont les évangélistes qui vont les mettre à portée des chrétiens justement parce qu’ils considèrent qu’ils pourront s’en saisir pour ne pas commettre les mêmes erreurs.

Dans le vécu de l’Évangile Jésus interpelle d’abord les piliers de la religion ancestrale. c’étaient eux les responsables de cette image de Dieu, peut-être parce qu’elle les confortait dans leur propre autorité. Eux-mêmes ne se font-ils pas appeler Maître ou même Père, mais le pli n’a-t-il pas été repris par les souverains pontifes et autres nouveaux seigneurs ?

Pour les (nous) ébranler, Jésus force le trait, montrant comment ces appellations sont-elles reçues par les gens de la rue, juifs ou non, aujourd’hui chrétiens ou non, et de mettre en évidence le porte-à-faux où peut alors se mettre la religion quelle qu’elle soit.

Dire de Dieu qu’il est ton maître, ton roi, ou même ton père, peut-être reçu par l’un ou l’autre, à cause de son expérience propre vis-à-vis de ses parents de son patron de son chef d’État, de façon totalement négative parce que tels qu’il les voit dans sa vie.

Alors on pense à tous ces témoins bibliques qui ont relaté leur rencontre en tête-à-tête avec Dieu, découvert proche, attentif, qui montre son amour jusque dans ses reproches, tellement loin des images que se faisaient les peuples, leurs contemporains : en fait, des dieux à l’image des hommes jusqu’à les statufier.

Dieu à l’image de l’homme ?

Voilà le problème que pose Jésus aux croyants de son temps et du nôtre.

Ce qui ramène Dieu aux dimensions humaines en projetant sur lui ce qu’ils sont eux-mêmes sans doute pour se justifier.

Nous risquons de nous braquer sur les excès absurdes de musulmans, aujourd’hui fanatiques religieux, mais il n’efface pas les tentatives souvent abouties, des pouvoirs civils de se faire cautionner par la religion : de la monarchie de droit divin ou du Saint empire, jusqu’à Israël et son retour à la terre promise, tous mettent en évidence l’échec de la religion quand elle est absorbée par des ambitions qui utilisent la foi pour dominer les hommes.

Dieu est le Tout Autre comme l’avait pressenti Moïse comme l’a dit Karl Barth et c’est en cela que ce Dieu Tout Autre nous « rend service » alors on devrait dire Dieu serviteur, car comme tout service, cela commence par une rencontre. Pensez à celle de Jésus avec Dieu au désert, puis celle de quelques hommes avec Jésus pour marcher avec lui et partager sa familiarité de Dieu.

Et là, nous avons Dieu comme compagnon sur toutes nos routes. Cela a été l’expérience de Jésus, que l’on ressent à chacune de ses paroles, à chacun de ses gestes, jusque dans sa détresse lorsqu’il s’écrie « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » mais aussi dans les retrouvailles de sa résurrection, partagée sur le chemin d’Emmaüs, et tant de fois encore.

Or, n’est-ce pas ce qu’attendent les hommes nos contemporains, loin des temples et des liturgies ou déçus par les pouvoirs quels qu’ils soient ?

Alors c’est ce Dieu compagnon qu’il nous faut montrer, celui qui ne nous lâche pas, celui qui nous retrouve après toutes les séparations, qui nous retrouvera après la séparation de la mort. Dieu sur notre route jusqu’à la vie éternelle.

Amen

Pr Pierre FICHET