Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
DIMANCHE 29 Décembre 2013
Culte à Trescléoux (05700)

Lectures du Jour :
Esaïe 63, 7-9
Matthieu 2,13-23
Colossiens 3,12-21
Massacre à Bethléem
Frères et Sœurs,
Nous sommes encore dans l’ambiance de Noël, ambiance sucrée, dans la joie de cette bonne nouvelle qui nous est rappelée chaque année, dans l’affection des familles qui se retrouvent en cette occasion, où les enfants ont toute leur part, et puis patatras ! samedi 28, notre calendrier indique « Saints Innocents » et notre lecture de ce matin jette un certain froid sur la fête.
Cette lecture soulève évidemment un tas de questions, plus ou moins incongrues. J’en retiendrai 3 :
* La première, c’est que Matthieu étant le seul des évangélistes à rappeler cette tragédie, qui nous gêne, nous interpelle, certains en profitent pour l’évacuer, émettre des doutes sur son exactitude en prétextant qu’aucun écrit romain ne l’attestait. Mais à Rome, qui va se soucier du massacre d’une vingtaine d’enfants de moins de 2 ans dans une petite ville de province dont personne ne connaît le nom ?
* La seconde, est assez classique : Pourquoi Dieu a-t-il laissé ce massacre se perpétrer ? Si Dieu existe pourquoi ceci ou pourquoi cela ? Cette question ne date pas d’aujourd’hui.
* La troisième, c’est la question subsidiaire de la seconde : et en plus de s’être désintéressé de ce massacre, Dieu épargne son fils. Jésus serait-il l’objet d’un délit de favoritisme ? Vous souriez mais nombre de personnes ont évoqué cette aspect, y compris parmi des biblistes.
Sur la première question :
Pourquoi donc, Matthieu nous a-t-il placé ce massacre juste après la nativité ? Ce n’est surement pas par hasard.
On remarquera que dans les évangiles, Matthieu est le seul à rapporter ce fait, de même qu’il est le seul à rapporter la venue des mages. Et il passe directement de la visite des mages à la fuite de Joseph en Egypte et au massacre des innocents, faisant l’impasse sur la nativité elle-même qui n’est contée que par Luc (la crèche, les bergers, etc..).
Matthieu enchaîne donc la visite des mages et la fuite en Egypte, et les 10 versets que nous venons de lire nous font voyager à travers l’A.T., sur 2 thèmes : l’Egypte, et les enfants :
* Un enfant nouveau-né qui fuit en Egypte, comment ne pas penser à Moïse, son couffin en osier posé sur le Nil,
* La phrase elle-même du verset 14 « Joseph se leva, prit de nuit le petit enfant et sa mère, et se retira en Égypte », on la retrouve mot pour mot pour la fuite de Lot, de Sodome (Gen.19/15) ou la fuite de Jacob (Gen 27/44)
* D’Egypte j’ai appelé mon fils, au v.15, fait référence à Jacob appelé par son fils Joseph., en Egypte où il mourra.
*- Le massacre lui-même des innocents est un rappel du massacre des nouveau-nés ordonné par Pharaon (Ex.11),
* enfin, la citation de cet oracle de Jérémie (31/15) : « Rachel pleure ses enfants » annonce la déportation du peuple Hébreu. Les fils d’Israël ne sont plus mais leurs descendants seront délivrés par un successeur de leur bourreau. (Rama est un village voisin de Bethléem, où Rachel est enterrée).
L’enseignement de toutes ces références est double :
* Matthieu, par cette fuite en Egypte insère Jésus dans l’histoire d’Israël et dans l’AT. Par une filiation spirituelle, Jésus est l’héritier de ces grandes figures : Moïse, Jacob, Joseph.
* Le rôle de l’Egypte montre l’ambivalence constante des situations : le bourreau peut devenir sauveur, la victime peut devenir à son tour bourreau au gré des tourments de l’Histoire;
* L’autre enseignement est qu’au-delà de toutes les turpitudes des puissants, même lorsqu’ils s’attaquent aux nouveau-nés qui représentent l’avenir d’une famille, d’une nation, d’un peuple, la promesse de Dieu pour ses enfants n’est pas vaine. Même si Rachel pleure, Le prophète proclame « Je n’ai pas pour vous des projets de malheur mais des projets de bonheur pour vous donner un avenir à espérer » (Jér.29/11)
Matthieu, juif qui s’adresse à des juifs, ancre définitivement la venue de Jésus dans l’accomplissement de l’A.T. signifiant ainsi que le plan de Dieu, établi depuis les origines a pour but unique et constant le salut de l’humanité, qu’elle est incapable d’obtenir par elle-même (l’histoire du peuple d’Israël en est l’illustration). Jean dira la même chose, à sa manière dans son prologue.
Sur la 2°question :
Si Dieu existe, pourquoi… etc…, nous n’avons pas à entrer dans cette démarche qui consisterait à justifier Dieu, car Dieu n’intervient pas dans l’Histoire des hommes, comme un marionnettiste qui tirerait les ficelles : Quel Dieu serait celui-là ?
Les événements qui se déroulent dans l’histoire de l’humanité répondent à un seul principe : le principe de causalité : il n’y a pas d’effet, d’évènement, sans cause, cet effet devenant lui-même une cause seconde d’un nouvel événement, et ainsi de suite.
Si l’on revient à Matthieu, que lit-on au début du chap. 2 ? :
« Voici des mages d'Orient arrivèrent à Jérusalem, et dirent: Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Le roi Hérode, ayant appris cela, fut troublé, et tout Jérusalem avec lui….Alors Hérode fit appeler en secret les mages, et s'enquit soigneusement auprès d'eux depuis combien de temps l'étoile brillait. Puis il les envoya à Bethléem, en disant: Allez, et prenez des informations exactes sur le petit enfant; quand vous l'aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j'aille aussi moi-même l'adorer. »
En parlant à Hérode du roi des Juifs, les mages ont déclenché une chaîne de décisions dont ils ignoreront les conséquences. A l’esprit de qui viendrait donc l’idée de faire porter à ces mages bien sympathiques, la responsabilité du massacre des innocents ? Voilà le principe de causalité.
Dieu n’intervient pas dans l’histoire des hommes. S’il agit, c’est à travers nous, ses disciples, encore faut-il que nous soyons à son écoute.
Dieu n’intervient pas mais il s’appuie sur Joseph, présenté comme un homme pieux ou un homme juste, selon les versions, que l’on pourrait prendre pour quelqu’un de passif, qui fait ce qu’on lui dit de faire, mais qui en réalité se rend disponible pour écouter Dieu qui lui parle en songe (« l’Ange du Seigneur », à ne pas confondre avec « les anges »).
C’est cette disponibilité, cette écoute, qui lui a donné le discernement pour choisir le bon chemin :
Bethléem, l’Egypte, la Judée puis la Galilée. Chaque fois Joseph a pris la bonne décision, chaque fois il fut guidé par le Seigneur. Un enseignement pour trouver nous-mêmes le bon chemin.
Sur la 3° question
Reprocher à Dieu d’avoir épargné son Fils serait ignorer le projet de Dieu pour Jésus, nouveau-né, qui endosse dès sa naissance la situation du persécuté, de l'exilé et offre maints points de comparaison avec les figures de Moïse et du peuple d'Israël.
Il est troublant de voir que la foule, de manière consciente, se chargera elle-même, et aussi ses enfants, du sang de Jésus (Mt 27,25); Matthieu est le seul à rapporter cette «auto-accusation» de la foule. Ne serait-ce pas la raison pour laquelle Rachel reste inconsolable ? Ce cri de Rachel, qui pleure les fils d’Israël sur lesquels leurs parents eux-mêmes attirent la malédiction divine, Rachel qui pleure par anticipation son fils, Jésus, jugé par Pilate et condamné à mort par la foule.
Si l'épisode de Bethléem fait référence à la cruauté légendaire du souverain, contre les représentations douces et apaisées de Noël, Matthieu tient à dire que Jésus naît dans un monde cruel. Dès sa naissance, la cruauté de l'histoire rattrape le «fils de Dieu».
Lui est exilé, les autres enfants de son âge exécutés. Cette souffrance qui suit Noël, n’a de sens que si l’on comprend que Matthieu, qui écrit ces lignes après la crucifixion de Jésus au Golgotha, après la destruction du Temple, anticipe, dans le récit de la naissance de Jésus, le récit de la passion du Christ.
De la naissance à la croix, Matthieu présente Jésus comme celui que la Judée chasse, refuse et finalement met à mort.
A sa naissance, il est le seul épargné parmi tous les enfants de Bethléem. A la croix, il est seul à mourir pour que tous soient épargnés.
Conclusion
Cet épisode nous montre que le Dieu de la fuite en Egypte triomphe des pouvoirs tyranniques. Dieu poursuit une autre Histoire que l’histoire des hommes et de leurs tyrans.
L’Histoire de Dieu s’inscrit dans l’Eternité et dans l’Universalité.
Alors, malgré la violence qui entoure Jésus, Dieu peut choisir de demeurer dans la faiblesse d'un bébé, enfant de réfugiés. Son projet pour l’Humanité, malgré tous les obstacles que lui opposent les hommes eux-mêmes, est conduit de façon constante dans la faiblesse, ce qui ne l’empêche pas d’être mené à bien : Israël, la plus petite des nations a trouvé la Terre Nouvelle, Christ nous ouvre à la Vie Nouvelle.
Ce texte nous montre que lorsque l'histoire semble se répéter dans sa violence extrême, quand les inégalités semblent s'accroître sur la terre, les combats pour l'homme ne sont pas vains. Tel est l’engagement qui est attendu des Eglises, pour donner un sens à l’histoire des hommes et inscrire l'espérance du Royaume dans ce monde d’aujourd’hui, dans « l’ici et maintenant ».
Devant toutes les injustices, violences, massacres, dont nous sommes témoins aujourd’hui, et qui touchent toujours les plus faibles, en premier lieu les enfants, ce texte de Matthieu nous permet d’aller vers ces cohortes de victimes pour leur dire que Notre Dieu, à travers l’itinéraire de son fils, leur ouvre une espérance, que la faiblesse peut triompher des puissants, , des orgueilleux, des hautains, comme le dit Théodore de Bèze dans le Psaume 68.
Si Dieu n’intervient pas directement dans l’histoire des hommes, Matthieu parle, à travers l'enfant exilé qui deviendra l'adulte crucifié, de la solidarité de Dieu dans nos histoires, sa volonté de sauver et de faire revivre. La solidarité de Dieu qui nous fait passer d'un monde à un autre, de la fatalité à l'espérance, de la mort à la vie.
Amen !
François PUJOL