Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
DIMANCHE 20 août 2017
Culte à Valdrôme (26310)

Lectures du Jour :
Matthieu 15, 21-28
Esaïe 56, 1-7
Romains 11, 13-32
« A tous la Grâce »
Cette histoire que nous venons de lire de la rencontre de Jésus avec cette femme Cananéenne aurait pu passer inaperçue si bien qu'on peut se demander quelle en est la signification, l'importance ou la portée. En effet, il y a dans l'Évangile d'autres miracles de ce genre, où un non Juif s'adresse à Jésus et à qui il est fait grâce. Mais ces quelques versets de Matthieu 15 ont vraisemblablement eu une importance considérable aux yeux des évangélistes qui en ont fait la relation, que ce soit Marc ou que ce soit Matthieu. Ces derniers, en effet, s'adressent à leur Église et sans doute ce passage répond-il à une question que se posent les membres de cette Église : quelles relations doit-on avoir avec les gens du dehors, avec les étrangers ?
C'est une question qui se pose depuis très longtemps. Esaïe lui apporte la réponse suivante : Le peuple d'Israël qui est le peuple élu, choisi par Dieu, est envoyé dans le monde comme une sorte de ferment afin de permettre au monde d'être sauvé. Les peuples étrangers, pour être sauvés doivent se tourner vers Dieu et épouser d'une certaine manière la foi d'Israël et accomplir les commandements qui sont donnés dans la Parole de Dieu, dans la Torah, dans la Loi.
Avec une certaine nuance, c'est aussi ce que dit Paul quand il s'adresse, dans son épître aux Romains, à des gens qui ne sont pas Juifs d'origine. Il parle d'une intégration nécessaire. Dans l'histoire qui nous est relatée par Matthieu, ce n'est pas de cela qu’il s'agit. La grâce qui est "donnée" par Jésus en fin de texte à cette femme l’a été sans cette contrepartie.
Reprenons le texte.
Jésus et les disciples partent vers le nord, dans le territoire de Tyr et de Sidon. Nous sommes en terre païenne, en terre où traditionnellement Dieu n'intervient pas. Jésus et ses disciples viennent d'avoir une grosse dispute avec les pharisiens au sujet de la réalité de la messianité de Jésus. C'est sans doute pénible à supporter pour Jésus qui est quand même assez proche des pharisiens. On peut supposer qu'il accepte mal de voir ses frères ne pas comprendre le sens de son discours. Ainsi après ces moments délicats et tendus, le texte nous dit qu’ils se « retirent » dans cette terre étrangère pour se changer l'esprit, pour être ensemble. Et cela se sent bien dans la réaction des disciples quand cette femme vient interpeller Jésus. Les disciples disent "renvoie-la !". Mais le terme "renvoie-la" peut aussi signifier "accorde-lui ce qu'elle demande, cède, de façon à ce qu'elle ne nous importune plus !". Et on entend bien par-là que les disciples ont envie d'être seuls avec leur maître et qu'ils n'ont pas envie d'être bousculés.
La réponse de Jésus s'adresse aux disciples : je n'ai été envoyé qu'aux brebis d'Israël, qu'aux brebis perdues du peuple d'Israël. Il leur dit tout net : ceux qui sont en dehors ne me concernent pas
La femme a-t-elle entendu la réponse de Jésus faite aux disciples ? Le récit de Matthieu le laisse supposer. En tout cas elle se jette aux pieds de Jésus et lui dit "maître ! Aide-moi ! ". En Grec, cela rappelle le " kyrie eleison ", les termes de ce répons qui depuis l'origine de l'Église scande la prière de l'Église faite à Dieu : "Seigneur aie pitié, Seigneur fais-nous grâce !"Mais Jésus, à ce moment, répond à cette femme en des termes insultants.
A la parole de la femme qui lui dit "maître, kyrie" il répond en disant "il n'est pas bon de jeter les miettes aux petits chiens". d'un air de dire "tu m'appelles maître, mais moi je peux (selon notre tradition) t'appeler chienne", ce qui est une insulte non seulement chez nous, mais aussi à l'époque de Jésus. "Est-ce que Jésus avait vraiment préparé sa phrase, ou avait-il de l'à-propos ? Peu importe, en tout cas cette phrase est extrêmement dure. Elle est extrêmement cinglante pour cette femme. Et ce qui est extraordinaire, ce qu'il y a de très fort chez cette femme, c'est qu'elle répond du tac au tac : "c'est vrai, maître, -elle reprend le même terme-, mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table des maîtres".
Cette femme fait une intrusion. Elle fait une intrusion dans l'Église, dans le troupeau des brebis d'Israël. Elle fait une intrusion en passant sous la table, comme les petits chiens, en disant d'une certaine manière "oui je ne suis pas membre de l'Église. Oui je ne peux pas être appelée enfant de Dieu. Mais malgré tout j'ai droit à la grâce de Dieu, parce que ce que je supporte est insupportable, et qu'il faut que tu me fasses grâce".
"Que ta foi est grande, répond Jésus, Dieu t'accordera ce que tu désires". Cette phrase n'est pas anodine. Jésus ne dit pas " Je guéris ta fille". Il ne dit pas "Qu'il te soit fait selon ton désir". " Il dit "Dieu t'accorde grâce". Dieu ? Quel Dieu ? En quel Dieu cette femme croit-elle ? On ne le sait pas. On nous dit qu'elle est cananéenne, c'est-à-dire qu'elle est une païenne, une païenne idolâtre. Elle a donc certainement plusieurs dieux, les dieux de la région de Tyr et de Sidon. Le Dieu d'Israël n'est, pour elle, qu'un Dieu parmi d'autres. Pourtant ici elle semble lui reconnaître une souveraineté...
La question posée par ce texte est une question importante pour l'Église. Dans cette histoire-là on a l'impression que Jésus lui-même avance dans sa foi, dans sa manière de vivre les choses. On peut même dire que dans cette histoire-là, Jésus se convertit. Lui qui est un Juif, lui qui est un Juif rigoureux appliquant la Loi de manière stricte, il vient de comprendre que la grâce de Dieu peut échapper, échapper à l'Église. Que la grâce de Dieu peut se manifester en dehors de l'Église. Qu'elle peut même se manifester pour celles et ceux qui en font la demande dans la foi en dehors de l'Église. Ici, contrairement à ce que dit Paul ou ce que dit Ésaïe, point n'est besoin de prendre le train en marche. Point n'est besoin d'adhérer à l'Église pour recevoir la grâce que Dieu accorde par la foi.
C'est quelque chose d'extraordinaire. C'est une vraie révolution qui se passe là. Une vraie révolution pour Jésus sans doute, et pour les Juifs encore plus. Mais c'est une vraie révolution aussi pour l'Église, l'Église qui ici est représentée par les disciples. Cela veut dire que l'Église ne maîtrise plus rien, en tout cas qu'elle ne maîtrise pas la grâce de Dieu, qu'elle ne maîtrise pas l'Esprit saint, qu'elle ne maîtrise pas non plus la foi des gens. Il n'est rien dit de la foi de cette femme sinon qu'elle est grande. Mais certainement cette foi n'est pas conforme, en tout cas pas conforme à la Torah. On peut même penser qu'elle n'est pas conforme à la foi évangélique telle que les disciples, les apôtres ou les chefs de l'Église pouvaient l'imaginer. La femme a une foi qui est grande. Et cette foi qui est grande lui permet de recevoir grâce de la part de Dieu.
Dans notre relation au monde c'est une vraie question qui nous est posée ici. Lorsque nous nous tournons vers le monde, bien souvent nous voulons proclamer et annoncer l'Évangile en disant que c'est par cette annonce de l'Évangile et par une adhésion à l'Évangile que l'on reçoit la grâce de Dieu. C'est par l'adhésion à cette foi au Dieu de Jésus Christ, que l'on reçoit les bénéfices du salut. Avec en sous-entendu, l'idée d'une adhésion aux dogmes communément admis. Or, ce texte semble nous dire autre chose. La foi en Dieu est une foi que l'Église ne maîtrise pas, c'est une foi en tout cas que nous ne maîtrisons pas pour les autres, une foi que Jésus de Nazareth lui-même ne maîtrise pas. Et c'est quelque chose que dans cette histoire en tout cas, Jésus reconnaît.
Cela a une conséquence importante pour nous. Lorsque nous proclamons l'Évangile ou lorsque nous vivons l'Évangile dans le monde qui nous entoure, nous n'avons pas vocation à convertir ce monde dans le but de le faire entrer dans notre barque. Notre seule vocation est de témoigner de ce que le Seigneur a fait dans notre vie, de témoigner de la grâce que nous avons reçue par la foi, cette foi qui est vécue d'ailleurs de manière tellement diverse selon les lieux et selon les temps.
Nous sommes invités par l'Évangile de ce jour à accepter que l'Esprit Saint souffle où il veut, quand il veut, comme il veut et que celles et ceux qui à un moment donné et peut-être même de manière tout à fait ponctuelle, se tournent vers Dieu pour lui demander grâce, reçoivent grâce. Le « kyrie eleison » ça n'est pas simplement une parole d'Église. Le « kyrie eleison » n'est pas simplement une prière qui est dite lors de l'intercession. « Le kyrie eleison » est une prière qui peut être dite par le monde tout entier. Et à laquelle le Seigneur répond.
C'est une vraie leçon d'humilité qui nous est donnée ; c'est une véritable invitation à nous débarrasser de toutes nos certitudes mais aussi de tout ce que nous pensons être propre à nous-mêmes. Nous ne sommes que de simples témoins, de simples témoins de cette grâce. Nous ne sommes que des apôtres appelés à proclamer.
Rappelons-nous que, dans cette rencontre avec la femme cananéenne, Jésus par son action, a reconnu implicitement qu’il n’était pas envoyé seulement « aux brebis perdues du peuple d'Israël » mais en fait à tous les hommes.
Nous aussi nous sommes envoyés, nous sommes apôtres dans le monde pour proclamer la grâce de Dieu, sans rien demander en retour à celui qui nous en fait la prière
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Amen !
Jean Jacques Veillet