Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 20 juillet 2014

Culte à GAP (05000)

Lectures du Jour :

Psaume 73

Mathieu 13: 24 à 43

Romains 8: 26-27

Que celui qui n'a jamais péché lève le doigt.....[1]

C'est bien ce qui me semblait: nous allons tous rôtir en enfers!

Car c'est ce que nous annonce le verset 42, au cas où vous n'auriez pas eu d'oreilles pour entendre: « les anges enlèveront de son royaume, tous ceux qui font tomber les autres dans le péché et ceux qui commettent le mal et ils les jetteront dans le feu de la fournaise. » Triste fin... alors que nous attendons tous une bonne nouvelle....

Si nous terminions ainsi ce serait sans tenir compte de tout ce qui précède et que Matt. aborde dans presque tout son chapitre 13 : le fameux Royaume des cieux.

Car qu'est-ce que ce Royaume auquel semble-t-il, nous n'aurions peut-être pas accès après avoir entendu pareil châtiment ?

L'évangile ne nous le présente en fait jamais précisément. Jamais il n'est défini comme un lieu. Jamais il n'est défini comme un espace géographique, voire même un espace théologique. Nous constatons juste que Matthieu parle de « Royaume des Cieux »se conformant ainsi à l'usage juif qui évite d'avoir à prononcer le nom de Dieu. Nous parlerons, nous, du Royaume de Dieu ainsi que Luc nous l'a appris. Il me semble que ça nous parle plus que des « Cieux » quelque peu nébuleux...

Dans les versets que nous venons de lire et ceux qui les suivent, le Royaume de Dieu est comparé à toutes sortes de choses un peu bizarres ou plutôt que nous ne penserions pas associer à un « Royaume » qui plus est, « de Dieu ». Il s'agit d'un minuscule grain de moutarde, de levain, puis plus loin dans Matt: d'un trésor, d'un marchand de perles, d'un filet. En bref, autant de choses qui semblent de prime abord n'avoir aucun lien les unes avec les autres. Et pourtant c'est ainsi, par touches successives, comme dans un tableau d'impressionniste, que l'Evangile nous donne peu à peu une image de ce qu'est ce Royaume de Dieu.

C'est en tout cas quelque chose de bien réel, de bien concret comme une graine, une semence, du levain. D'une réalité bien cachée certes, comme la graine recouverte par la terre et dont la transformation peut s'avérer lente et aléatoire (oh, je me suis désolée plus d'une fois de constater que la graine ou l'arbre ne donnaient pas de fruits !...).

Mais en même temps, ce Royaume de Dieu nous est présenté comme quelque chose de tout petit : est-ce que vous la voyez cette graine que j'ai dans les doigts? Non? Eh bien, c'est une graine, non pas de moutarde (qui ne donne pas de plante si haute que ça!) mais d'érable. Elle n'est pas minuscule ; elle est juste petite et pourtant vous ne la voyez pas. Alors comment penser qu'elle est le « Royaume de Dieu » ? ! Et ce levain: il est tout à fait banal... Rien de plus ordinaire que ce bout de pâte toute plate. Et pourtant, cette graine et ce levain, si petite et si communs soient-ils, ont en fait un potentiel de croissance extraordinaires : cette petite graine va donner un arbre plus haut que toutes les plantes et ce levain des pains gonflés... Petit, discret, caché et se développant tranquillement, le Royaume de Dieu est là, présent.

Le « Réforme » du mois d'avril dernier consacrait un article très intéressant au Royaume de Dieu. Il le définissait ainsi: « le Royaume de Dieu n'est pas un système mais une personne : Jésus-Christ. Il n'est donc pas un lieu, ni un temps donné. Il est une parole qui, entendue, se partage et porte des fruits. »

Cet arbre qui dépasse tous les autres et permet à la vie de se reproduire sans cesse, ce serait donc Jésus-Christ ? Ces pains prêts à être savourés ce serait donc Jésus-Christ?

Oui, car la résurrection est passée par là. L'arbre et le pain sont les images de ce que Jésus nous a donnés: un lieu paisible pour reproduire la vie, une nourriture bienfaisante et vivifiante. Il nous propose encore aujourd'hui cette sérénité et ces forces pour faire vivre le Royaume de Dieu dans le champ qu'est notre monde. Oui, ce sont sa mort et sa résurrection qui nous ont permis de mieux comprendre le sens de son passage sur terre et la Parole de Vie qu'il y a portée.

C'est cet arbre qui, comme l'arbre de vie du jardin d'Eden, nous abrite et nous nourrit dans nos réflexions, dans notre foi. C'est ce levain qui lève doucement et nous donne un pain de vie. Une vie que Jésus veut pour nous, une « vie éternelle » c'est à dire qui transforme en profondeur tout ce qui peut arriver de bon ou de douloureux dans notre existence. En fait, il nous offre ses paroles, sa propre vie et sa façon d'être en relation avec Dieu et avec les hommes.

Il sème et attend que nous fructifiions.

Car le Royaume de Dieu, il est déjà présent, aujourd'hui, dans notre monde, discret comme la petite graine sous le sol ou le levain qui gonfle. Il est en chacun de nous. Luc nous le rappelle en son chapitre 17 verset 21: « le Royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards. On ne dira pas il est ici ou il est là. Car voici, le Royaume de Dieu est au dedans de vous ».

Et il attend de nous que nous portions des fruits, que nous fassions régner l'amour et la paix.

Christoph Stückelberger écrivait dans Réforme: « le royaume de Dieu, c'est le bon moment pour faire la bonne action au bon endroit avec les bons moyens »... Moment, action, endroit, moyens... « C’est la présence ultime, incroyable et en plénitude avec Dieu. C'est l'absolu déjà ici, présent ».

Il nous est demandé de faire en sorte que les bonnes herbes, comme la moutarde (excellent engrais!), prennent le dessus. Nous avons reçu une terre en partage, à nous de nous mettre au travail afin que personne n'en soit arraché, exclu. Nous sommes là, nous disait un de nos pasteurs, « pour proclamer la dignité fondamentale de tout homme et de toute femme. Et les Eglises ne sont pas là pour faire le tri ni pour dénoncer la mauvaise herbe; elles sont là pour proclamer le « pari fou » d'un Dieu qui choisit le « grandir ensemble » (« laissez les pousser ensemble » répond Jésus aux disciples qui veulent arracher l'ivraie du blé - Matt. 13:30)... « Pari fou » d'un Dieu qui choisit de mettre sa confiance dans la bonne graine, celle de sa parole et de tous ceux qui tentent d'en vivre. » Et j'ajouterais même : Dieu met aussi sa confiance dans la mauvaise graine puisqu'il « est toujours temps pour l'ivraie de changer, de se changer en semence utile; c'est ça la conversion, c'est ça l'espérance! ».

Car bien sûr, dans tout champ, il y a ce qu'on appelle la bonne herbe (qui fait la pelouse uniforme!) et la mauvaise herbe (qui fait tache!). Et encore, je ne vais pas me lancer dans la définition de ce qui est bonne ou mauvaise herbe car un parterre de pissenlits peut par exemple être tout à fait joli ou très bon pour la santé ! Vous voyez donc déjà que définir le bon du mauvais est un exercice bien hasardeux...

En fait la mauvaise herbe est ici représentée dans l'évangile de Matthieu par « l'ivraie » ou « zizania » si l'on s'attache à sa traduction grecque. « Semer la zizanie », ça vous dit quelque chose ?

Oui ? Eh bien, ce n'est peut-être pas par hasard !

Cette mauvaise herbe, cette zizanie germée d'une mauvaise graine semée par « l'ennemi », « un ennemi », « le diable », c'est tout ce qui nous éloigne du grand arbre qui a poussé au milieu du champ; un peu comme Adam et Eve éloignés de l'arbre de vie. Appelé autrement, c'est le « péché ». C'est ce qui divise notre monde et le fait dévier d'un chemin de paix. C'est le pessimisme à la place de l'Espérance, ce sont des paroles ambigües ou le refuge de la lâcheté là où la Parole de Vie devrait trouver sa place, c'est l'indifférence là où l'on aimerait voir la foi.

La mauvaise herbe, l'ivraie, la zizanie, c'est notre part d'ombre. Aujourd'hui, elle est indissociable de notre générosité, de notre solidarité, de notre espérance. Elle fait partie de nous. A nous d'accepter de cohabiter avec elle. Dieu le veut ainsi « laissez les pousser ensemble ».

Il ne nous est pas demandé de passer le monde au désherbant ni de brandir notre bannière de purificateurs. La moisson, elle n'est pas pour aujourd'hui et d'abord ce n'est pas nous qui en sommes chargés. Ne prenons pas la place de ceux qui pensent pouvoir « faire le tri » comme proposent de le faire les disciples à Jésus. Dieu ne nous le demande pas. Il nous demande même de rester à notre place afin que le Royaume de Dieu reste l'endroit où l'énergie divine et le pouvoir de l'amour sont présents.

C'est dans l'ambiguïté, l'ambivalence, la confrontation avec le mal que le Royaume vient faire son chemin. « Je ne te demande pas de les retirer du monde » Jean 17:15.

Et ce Royaume n'est pas pour plus tard ou des temps inconnus.

Ce n'est pas le royaume des morts, fussent-ils ressuscités. C'est le royaume des vivants, ici et maintenant.

« Le Royaume n'est pas un passé idéalisé, le paradis ni l'enfance perdue » écrit Christoph Stückelberger[2], « Dieu n'est ni dans le désert, ni dans le ciel mais dans les yeux de l'autre »...

Le lieu où Christ peut et doit ressusciter aujourd'hui, demain, c'est en nous-mêmes: c'est là le Royaume de Dieu.

En fait, nous n'irons pas rôtir en enfer.

L'arbre de vie, il est dans notre champ et ce champ c'est notre jardin d'Eden.

« On ira tous au Paradis ! » ...

Amen !

Isabelle Christophe-Chabas


[1] à partir des prédications de Marc Pernot

[2] In « Réforme » avril 2014