Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
Dimanche 6 novembre 2016
Trescléoux (05700)

Lectures du Jour:
Daniel 3, 1-30
Luc 20 27-38
2 Thessaloniciens 2,16-3,5
« La résurrection, œuvre de Dieu »
Voici que Jésus entre dans la dernière partie de son ministère et qu'il s'approche du temps de sa passion. L'évangéliste Luc, avec le récit de cette polémique provoquée par les sadducéens, aborde la question centrale de la résurrection. Ici, c'est la définition même de la résurrection qui est en jeu et il faut bien reconnaître que cette question de l'après-mort tenaille depuis toujours les êtres humains que nous sommes. Cela ne date pas que de Jésus.
Pendant longtemps, la pensée du judaïsme classique n'imaginait pas vraiment de vie après la mort. À la différence des autres religions, en réaction à elles, on ne faisait aucune spéculation sur l'au-delà, on ne célébrait pas non plus de culte des morts. Puisque les plus anciens écrits bibliques restaient silencieux sur le sujet, la notion de résurrection était quasiment absente de la tradition juive et l'on s'imaginait la fin de la vie comme un séjour inéluctable au séjour des morts, hors de toute vie et en dehors de Dieu.
Tout au plus, la résurrection pouvait-elle être comprise de manière collective. C'était d'une certaine manière, une image pour dire que le peuple dispersé en terre étrangère, à Babylone par exemple, allait être rassemblé, relevé, et qu'il pourrait vivre à nouveau sous le regard de Dieu.
La notion de résurrection individuelle s'est installée tardivement et assez lentement dans la culture d'Israël. Elle est apparue au 2ème siècle avant JC, et elle est apparue comme la réponse prophétique aux interrogations que se posaient les penseurs juifs, à propos des martyrs de la foi, ceux dont la vie s'était injustement arrêtée trop tôt. Il était inimaginable qu'un Dieu juste puisse abandonner à la mort ceux qui avaient vécu pour lui, inimaginable que tout puisse se terminer ainsi pour eux ! L'espérance de la résurrection était la réponse donnée à l'expérience de la persécution. C'était en fait une question de justice.
À l'époque de Jésus l'opinion restait très divisée sur la question, les pharisiens et les sadducéens en représentaient les tenants opposés. Les sadducéens, très attachés à la tradition, formaient un parti aristocratique lié au Temple. Leurs opinions religieuses n'étaient pas celles de la majorité des Juifs de l'époque. Pour ces dignitaires religieux, tout était écrit dans la Torah qui était vue comme une norme immuable à suivre fidèlement, de manière littérale. Pour eux, il fallait articuler la Torah avec la raison humaine. Les sadducéens rejetaient la croyance en la résurrection apparue seulement deux siècles plus tôt. En fait cette aile conservatrice du judaïsme rejetait toute idée neuve.
Le groupe des pharisiens, au contraire, s'appuyait sur l'institution de la synagogue qui était une maison de prière, d'étude, de réunion, une maison éloignée de l'autorité du Temple et donc éloignée du pouvoir des sadducéens. À côté de la Torah écrite, les pharisiens reconnaissaient l'autorité d'une Loi orale, l'autorité des traditions interprétatives.
Sans arrêt, ils interrogeaient et interprétaient les Écritures qu'ils reprenaient et actualisaient pour faire surgir quelque chose de neuf, pour trouver des réponses à tous les cas de l'existence humaine qui risquaient de se présenter à eux chaque jour. Et donc, eux soutenaient la réalité de la résurrection, et ils spéculaient sans fin sur ses modalités, de manière assez hasardeuse : est-ce que l'on ressuscitera jeune ou vieux, malade ou en bonne santé, et comment Dieu fera-t-il pour caser tout ce monde dans son royaume...
C'est dans ce contexte qu'il faut entendre la polémique dont nous fait part Luc. Mais sans doute l'évangéliste, qui écrit son texte 70 ans après JC, se sert-il aussi de cette dispute pour s'adresser aux jeunes Églises chrétiennes, qui avaient besoin d'être enseignées, qui avaient besoin de construire et d'affermir la toute nouvelle foi en la résurrection.
Les sadducéens cherchent donc à mettre Jésus en difficulté, ils veulent ridiculiser la foi en la résurrection. Et alors ils inventent cette histoire peu vraisemblable de mariages à la chaîne, une histoire qu'ils racontent à partir d'une représentation matérialiste de la résurrection.
En effet à l'époque, on pensait que la résurrection était le recommencement de la vie après la mort, dans une réalité physique pareille à celle du monde des vivants. On croyait que l'après-mort était la reproduction de l'avant-mort et que l'on allait continuer alors ce que l'on avait laissé inachevé ici-bas.
Quels sont les faits : Un homme meurt sans enfant, et pour obéir à la loi de Moïse qui exigeait que l'on perpétue le nom de la famille, de la lignée, car c'était une question de survie du peuple, pour obéir à la loi donc, la veuve va être amenée à épouser successivement les sept frères du premier époux, car chacun d'eux meurt prématurément sans laisser de descendance. Puis la femme meurt à son tour.
Question polémique posée à Jésus : Cette femme, à la résurrection, duquel d'entre eux sera-t-elle la femme, puisque les sept hommes l'ont eue pour femme ? La logique des sadducéens est imparable : une femme ne peut pas avoir sept maris à la fois, or toi si tu crois à la résurrection, disent-ils à Jésus, c'est pourtant bien ce qui va se passer. Si tous ressuscitent, vois à quel désordre inextricable et grotesque cela va mener dans l'au-delà ! Vois avec quelles situations conjugales complexes Dieu va devoir se dépêtrer !
Les sadducéens, ironiques, pensent démontrer que l'idée de la résurrection entre en conflit avec la loi de Moïse, qu'elle est incompatible avec cette loi, incompatible aussi avec le bon sens, absurde donc.
Mais voilà, Jésus ne tombe pas dans le panneau de ces contradictions, ni dans le piège des faux problèmes. Il refuse aussi d'être enfermé dans cette opposition entre pharisiens et sadducéens. D'ailleurs sur le fond les deux groupes ne sont pas si éloignés l'un de l'autre ? Tous deux finalement ont la même compréhension matérialiste de la résurrection, les uns la défendent, les autres la contestent, mais le fond reste le même. Et Jésus les renvoie alors dos à dos.
Une fois de plus, il renverse la vapeur, et répond de manière percutante à ceux qui tentent de le piéger. Il va s'éloigner des spéculations oiseuses et transformer cette querelle toute théorique en une question de foi et de vie.
Lorsque avec leur question piège les sadducéens raillent cette vision de la résurrection, ils font semblant de croire qu'il n'en existe pas d'autre possible. Mais ils se trompent et Jésus en dit tout autre chose :
Lorsque les morts ressusciteront, c'est une autre réalité qui commencera leur dit-il, car la vie terrestre et la vie nouvelle dont on héritera alors, sont deux réalités totalement, radicalement différentes.
C'est cela qu'il faut retenir de la comparaison avec les anges. Les ressuscités ne se marient pas, ils sont pareils aux anges, ils appartiennent à une autre dimension et la mort n'a plus de pouvoir sur eux. Ils n'ont plus besoin d'avoir une descendance pour perpétuer la vie. Plus besoin d'institutions de survie, d'alliances, de contrats, de mariages. Désormais ils sont vivants de la vie de Dieu, et c'est cela qui importe.
Le problème des sadducéens devient donc sans objet. Puisque la résurrection n'est pas un retour à la vie terrestre, mais une re-création, une transformation de l'être humain que l'on a du mal à seulement s'imaginer. Les ressuscités naissent à une vie différente, et la condition céleste qu'ils endossent alors, échappe à nos catégories de pensée. Cela reste le secret de Dieu. Enfermés que nous sommes dans les limites de notre vie, nous ne pouvons rien dire avec vérité de cette autre vie, ni du monde de cette autre vie.
D'ailleurs, prétendre savoir ce qui est au-delà de la mort, n'est-ce pas d'une certaine manière franchir une limite et se prendre pour Dieu ? Et renoncer à se représenter l'au-delà, n'est-ce pas tout simplement exprimer sa confiance en Dieu, vivre cette confiance en la vie promise par Dieu ?
Jésus, comme les Sadducéens se réfère aux Écritures, lui aussi se réfère à Moïse, lorsque qu'il déclare : "Que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même l’a indiqué dans le récit du buisson ardent quand il appelle le Seigneur « le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob ». Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants car tous sont vivants pour lui ;"
Mais lui Jésus, quand il évoque les patriarches, c'est pour remonter jusqu'aux sources de la foi, c'est pour citer l'Écriture comme un témoin de vie pour aujourd'hui, garantissant la résurrection future. Dans les Écritures, il trouve, lui, un Dieu de relation qui s'est fait connaître à des partenaires humains, parfois de manière inattendue, et qui veut rester en relation avec eux, même au-delà de la mort. Il trouve un Dieu des vivants qui se révèle et qui parle à chaque personne, dans son histoire singulière.
Un Dieu qui sauvegarde la vie et qui la fait triompher, un Dieu qui appelle, qui met debout, en mouvement, un Dieu qui s'engage à notre égard, qui se lie à nous dans une alliance d'amour. C'est le Dieu qui a appelé Abraham à se lever et à partir vers la terre nouvelle. Qui a protégé Isaac du meurtre rituel. Qui a accompagné et relevé Jacob tout au long de ses chemins, même les plus obscurs. C'est le Dieu avec qui Moïse a fait l'expérience de la rencontre, dans un tête à tête. Dès le début, son projet avec les humains est un projet de combat contre toutes les forces de la mort. Dès le début, c'est un projet de résurrection, un projet de résurrection mis en place par la parole créatrice qui suscite la vie sans fin.
Contrairement à ce que les Sadducéens feignent de croire, ce n'est pas après la mort que les questions importantes se posent, mais c'est avant, pendant la vie. Et au fond, Jésus nous dit que c'est seulement dans une rencontre avec le Dieu des vivants que se joue notre vie ou notre mort, seulement dans cette rencontre que l'on peut comprendre et croire à la résurrection, parce que cette rencontre est porteuse de vie.
Alors la résurrection n'est plus quelque chose d'extérieur à nous, elle n'est plus une doctrine, un objet de recherche ou de querelle. Ni même seulement une espérance pour les temps futurs. Elle est au cœur de ce que nous vivons déjà, quand la foi en Dieu nous amène à exister autrement.
Ainsi dans ce récit comme dans tant d'autres, Jésus déconstruit nos modes de pensée habituels, il les renouvelle de fond en comble, il les rafraîchit. Il ouvre constamment notre intelligence en nous appelant à réorienter notre regard, à réorienter notre regard vers un Dieu qui fait vivre et qui nous rend vivants. C'est alors, que nous pouvons commencer à vivre, comme des ressuscités.
Amen !
Jean-Jacques VEILLET[1]
[1] A partir d’une prédication de Claudine Wendenbaum - Hagondange - 2013