Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 20 octobre 2013

Gap (05000)

Textes bibliques:

Exode 17, 8-13

2 Timothée 3,14-4,2

Luc 18, 1-8

Importune, la veuve ?

Comment peut-on comprendre l’histoire de ce juge tranquille et de cette veuve dérangeante que Jésus raconte à ses disciples ? Il insiste en disant : écoutez bien ce que dit ce juge sans justice.

Si nous nous posons la question, bien entendu la veuve est le personnage central de l’histoire. Il est vrai que c’est bien elle que nous avons envie de prendre pour modèle et qui attire notre sympathie : elle est rejetée, on lui fait tort, mais le droit est de son côté. Elle est courageuse et persévérante : elle est l’espérance même, dans cette action, dans sa décision d’aller jusqu’au bout dans ses paroles simples mais fermes : rendre justice contre mon adversaire.

En revanche, qui voudrait se voir en ce juge lâche et sans respect pour tout autre que lui, ce juge qui ne cédera à la supplique de cette femme que par lassitude et par peur de voir sa tranquillité troublée ?

Oui, pour tous, et pour chacun de nous aussi sans doute, la veuve est le personnage central de l’histoire.

Mais arrivés à ce point, nous avons trouvé deux pistes, deux optiques : pour les uns, la veuve est l’image de l’église, ou du croyant que Jésus appelle, par son exemple, a une prière plus persévérante, qui ne cède pas au découragement ; à une prière plus confiante aussi, parce qu’assurée par Jésus lui-même, et contre toute apparence, d’être entendu par Dieu beaucoup plus vite que ce ne fut le cas pour la femme devant son juge. Celui-ci, le juge, est alors considéré comme l’image des difficultés de la vie chrétienne, de l’indifférence et de l’absence de réponse que le fidèle doit surmonter ; bien plus encore, il est le reflet de tout ce qui vient, nous le savons bien tous les jours, démentir la nécessité de la prière et la fidélité de Dieu ; tout ce qui me pousse à renoncer et met rudement ma foi à l’épreuve.

Qui n’a expérimenté ce découragement rejoignant celui de Job ? Qui n’a dit avec lui Dieu est sourd, qui ne pense tarde-t-il à aider ceux qu’il a choisis ?

Pour les autres, la veuve est l’appel à tous les opprimés de la terre : qu’ils prennent comme elle, leur cause en mains ! Eux dont les droits sont sans cesse bafoués, ignorés, qu’ils osent se lever, jusqu’à une certaine forme de violence s’il le faut–car c’est bien cette dernière que craint le juge puisqu’il ne fait droit à la femme que de peur qu’à la fin elle ne vienne lui casser la tête au sens propre, le faire tomber de sa charge privilégiée.

Qu’à l’exemple de cette veuve prenant la parole, elle qui était réduite à l’état d’objet (en hébreu le mot veuve et le verbe être muet ont la même origine), qu’à la suite de son courage ceux que l’ont fait taire, que l’on méprise ou violente, osent affronter sans se lasser les indifférences des pouvoirs oppressifs, les dominations politiques, économiques et même religieuses, qu’ils prennent la parole qu’on leur refuse, le droit et la justice sont de leur côté, inscrits dans la volonté de Dieu qui a pris leur parti et les aime : les prophètes ont rappelé avec quelle force tout au long de l’histoire d’Israël, et Jésus a repris dans sa chair jusqu’à en mourir ce parti des exclus, de ceux auxquels il est fait violence et qui, dans leur détresse, crient à Dieu jour et nuit selon une très forte expression des psaumes qu’il cite.

En fait, ces deux manières de lire la parabole de Jésus, à travers le personnage de la veuve, sont toutes les deux, bien enracinées dans le texte, mais elles s’opposent totalement.

Or l’étonnant dans cette histoire, sa merveille comme très souvent dans l’enseignement de Jésus c’est qu’elle ne nous enferme pas dans des situations stéréotypées, elle ne nous parle pas d’une pratique priante des fidèles qui s’opposerait à une pratique active, subversive, des opprimés. Tout au contraire, elle brouille nos manières de comprendre, elle nous sort de nos interprétations, peut être justifiées, mais figées et fragmentaires : elle nous élargit, nous ouvre notre horizon souvent un peu étroit.

Car la veuve dans la parabole, est bel et bien tout à la fois l’église qui doit prier sans se lasser et les opprimés qui osent se donner un avenir en prenant leur cause en main. Pour la personne de cette femme, ils sont unis au point que devant Dieu ils ne peuvent plus être séparés : prière persévérante des chrétiens et justice des pauvres sont une seule et même obéissance, un seul et même acte de foi et la justice de Dieu, attentive et proche nous redit Jésus, qui répond aux uns et aux autres, aux uns avec les autres, aux uns par les autres.

Mais nous n’avons guère parlé du juge, cet oublié antipathique de nos lectures, que nous enfermons dans sa méchanceté et son égoïsme. Il a pourtant un rôle important dans cette histoire, puisque Jésus parle de sa décision d’enfin faire droit à la veuve pour nous parler de Dieu et de son action, qui elle, est fidèle et prompte : écoutez bien ce que dit le juge unique… la parabole s’attarde à le décrire comme un homme qui ne craignait pas Dieu et ne respectait personne : craindre Dieu en langage biblique nous le savons ce n’est pas avoir peur de Dieu, c’est se placer sous son autorité, se savoir à son service dans le travail ou la fonction qu’on exerce : respecter les hommes, le terme est fort : c’est littéralement se mettre en mouvement vers l’autre pour se mettre à la place de l’autre. Le juge serait donc un homme sans Dieu, ni prochain, sans foi ni loi, sans foi ni justice.

Or vous l’avez entendu, Jésus finit la parabole, et l’application qu’il en donne, par une interrogation où précisément il est question de foi, de sa présence ou de son absence en un moment capital : quand le fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?

Cette question nous renvoie bien sûr à la veuve, qui dans sa supplique active a montré sa foi. Mais peut-être nous renvoie-t-elle bien davantage au juge, ce juge sans foi.

À sa manière, ce dernier nous bouscule, nous interroge en fait tout autant que la veuve, dans notre rapport avec Dieu et avec les opprimés. Car il peut être aussi l’image de l’église qui, comme lui, a connaissance de la volonté de Dieu, comme lui a étudié la Bible car il fallait avoir été à l’école des scribes pour être juge au temps de Jésus, comme lui, elle a charge et service de manifester, en acte, la justice de Dieu auprès des hommes, des plus démunis.

Ce juge a la lucidité de se voir tel qu’il : je ne crains pas Dieu et ne respecte personne et il dit, sans chercher d’excuses, sans aucune complaisance que ce qui le fait sortir de son indifférence c’est la lassitude et la peur. Eh bien, parce que cette veuve me fatigue, je vais lui rendre justice, afin qu’elle ne vienne plus sans fin me casser la tête !

Alors avons nous le courage et cette lucidité de dire que nous ne croyons pas vraiment à la fidélité active de Dieu, que Jésus, lui, proclame certaine, à l’accomplissement rapide de sa justice et que nous sommes, hélas trop souvent, oublieux des hommes ?

La veuve a rendu au juge ce service, de le contraindre à sortir de lui-même, à exercer sa charge.

Savons nous aussi l’entendre dans la plainte des peuples opprimés, de tous les exclus qui nous entourent, dans la prière de l’église persécutée ? Les uns et les autres veulent nous contraindre à vivre avec de la justice de Dieu. Serons-nous avec eux et par eux, rendus à la prière persévérante, à l’action courageuse et à la foi ?

Quand le fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la fois sur la terre ? Ce n’est pas un jugement ce point d’interrogation. C’est aussi et surtout l’espérance de Dieu.

Amen !

Daniel Dellenbach