Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 15 sept. 2019

Gap (05000)

Lectures du jour :

Exode 32, 16-14 (voir également méditation du 12-sept-10)

Luc 15,1-32 (voir également méditations du 16-sept-07 et du 11-sept-16)

1 Timothée 1, 12-17

L’amour paternel

Le chapitre 15 de l’évangile de Luc est une réponse aux scribes et aux pharisiens – les bons religieux- qui s’indignent de voir Jésus s’intéresser aux collecteurs des taxes et à ceux qui ne font pas comme il faudrait qu’il fasse selon les seules bonnes règles.

Les paraboles du mouton perdu et retrouvé, de la drachme perdue et retrouvée et du fils perdu et retrouvé décalent notre regard pour considérer celui qui est perdu comme prioritaire. Décidément, encore une fois, avec Dieu, rien ne marche comme on pourrait le penser !

Sur ces 3 paraboles, je m’attarderai sur celle du fils prodigue que j’aime bien et sur chacun de ses personnages.

Un père avait 2 fils. 2 fils totalement différents.

Le plus jeune, en pleine crise d’affirmation de soi peut-on penser, réclame sa part d’héritage, traitant ainsi son père comme s’il était déjà mort…

Il part pour un pays lointain nous est-il précisé et là, il dissipe sa fortune dans une vie de désordre. Loin du père, il ne donne plus d’ordre à sa vie, plus de sens.

La famine aidant, il se retrouve dans la misère : misère matérielle : rien à manger, nulle part où dormir mais aussi on peut le penser, misère psychologique : désillusion, déboussolement, perte d’identité et surtout fin des rêves…

Il devient esclave d’un étranger –lui qui avait tout chez son père- et garde des cochons … Personne ne lui donne à manger et il ne peut même pas manger les graines de caroube données aux cochons car elles sont considérées par la loi de l’époque comme impures.

Il est au fond du trou et ce n’est qu’en « rentrant en lui-même » qu’il va remonter. « Rentrer en lui-même » c’est faire un retour sur soi, un retour en soi pour mieux se retrouver. Et notre fils cadet, il réalise combien il est allé loin, loin de chez lui mais aussi loin de lui-même au risque de se perdre. Cette épreuve est l’occasion d’une prise de conscience, une étape de maturation, douloureuse certes mais qui va l’amener vers un statut d’adulte.

Quand on ne sait plus rien ou que l’on n’a plus rien, alors quelque chose de nouveau peut bienheureusement apparaitre et remettre en marche. Le neuf, le nouveau, peut difficilement trouver de place dans une vie trop remplie, trop balisée, trop agitée…

Et notre petit bonhomme il devient très humble. Il ne demande rien, ne revendique plus rien, même pas une dignité d’être humain, même pas une identité. « Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils » pense-t-il dire à son père. Et il part vers ce qu’il a connu mais qu’il reconnait seulement maintenant : un homme qui prend soin de ses serviteurs.

Gardons la suite pour tout à l’heure et pensons un peu au fils aîné. Déjà qu’il n’a pas le beau rôle dans cette histoire, si en plus on ne parle pas de lui !

Lui, il est « parfait » ! il est présent dans la famille et sur ses terres, il est loyal, fidèle à la tradition et appliqué à suivre la loi. Et en plus il a vraisemblablement la charge financière de son père qui a partagé tout ce qu’il avait entre ses fils.

Pourquoi se met-il en colère et refuse-t-il de rentrer quand il apprend qu’une fête attend le retour du « dépravé » ?

Peut-être tout simplement parce qu’il considère que c’est lui que le père aurait dû récompenser pour sa rectitude et sa loyauté. Peut-être s’est-il sacrifié étant l’aîné et son unique frère ayant quitté le navire ?

Alors oui, il est en colère, il est amer et il est violent. Il n’admet pas la logique de ce père inconscient voire même inconsistant.

Paul dirait de lui qu’il reste dans « le monde ancien ». Celui où c’est la loi qui dicte ce qui est « juste », celui où obéissance et droit chemin sont récompensés et désobéissance et « péché » sont bannis.

Coincé dans la rigidité de ses principes, il ne peut accéder à ce que Paul encore appellera « la création nouvelle », ce monde où c’est ce qui est juste qui va dicter la loi et où seule règne la grâce de Dieu, amour inconditionnel et gratuit.

Il ne peut pas comprendre l’attitude de son père parce qu’elle est à l’opposé de la logique qui l’enferme. Comme ces personnes qui réprouvent Jésus parce qu’il pratique un accueil inconditionnel et bienveillant qu’ils estiment contraire à la tradition et à certaines pages des Ecritures. Et pourtant, leur dit Jésus, n’oublient-ils pas que Dieu est comme un père qui ne prend aucun plaisir à la mort de ses enfants et que son amour n’est pas comparable à une récompense ?

Alors, comme souvent quand on est ébranlé dans ses convictions et ses certitudes, ce fils aîné est en colère et devient de mauvaise foi –aux 2 sens du terme si l’on veut !- : il renie sa filiation « quant ton fils que voici est arrivé… » Dit-il à son père. Et le fait d’avoir un frère lui est insupportable : il renie sa fraternité.

L’histoire ne nous en dit pas plus…

Quant au père, comment agit-il ? car après tout, c’est de lui que viennent toutes ces histoires !

Il est cool… Non seulement il accepte de faire comme s’il était déjà mort pour répondre au fantasme de son fils cadet, mais en plus, il renonce à la moitié de ses biens, devenant ainsi dépendant de son fils aîné. Et quand son indigne fils revient enfin, et bien, il dépense encore un maximum pour l’accueillir. Alors ? Il est fou ou il est inconscient ?

Ni l’un ni l’autre!

Il n’a tout simplement pas la même logique que nous, que ses fils .

Nous, nous nous serions au moins un peu inquiétés de l’attitude irraisonnée du fils cadet : mais qu’est-ce que tu vas devenir ? tu es sûr que tu veux partir ? où vas-tu aller ? que vas-tu faire de ta vie ?etc…

Ou alors nous l’aurions engueulé : alors non seulement tu me veux mort avant l’heure mais en plus tu fais n’importe quoi, …

Et bien non, rien de tout cela. Juste une phrase rapportée : « le père leur partagea son bien ». Point.

Ce que l’on sait ensuite, c’est que « comme il était encore loin -le fils cadet- son père l’aperçut » ; On peut déduire de ces mots que ce père, il devait avoir un œil chaque jour sur le chemin qui menait jusque chez lui… Il devait espérer et il devait guetter, attendre chaque jour…

Enfin, et je trouve que c’est le plus beau moment de ce texte : « il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers »… D’abord je pense que ce n’était pas une attitude très courante, de la part d’un homme de cette culture et cette époque de manifester ses émotions avec autant d’effusion.

Mais ce que je relève dans ce passage c’est « il courut ». C’est le père qui va au-devant de son fils cadet, qui se déplace vers lui. De même, il ira vers son fils aîné - « il sortit » - lorsque ce dernier refusera de rentrer dans la maison.

Le père va au-devant de ses fils et les cherche parce qu’eux-mêmes méconnaissent leur père ; chacun en a une idée erronée.

Le premier croit, dans sa déshérence, qu’il n’est plus digne de son père. Or, pour ce père-là, quelle que soit la déshérence, son fils reste son fils. Rien ne peut lui retirer ce lien, cette identité: «car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ».

Quant au fils aîné, il croit que c’est en raison de sa droiture et de sa loyauté qu’il est reconnu comme fils par son père. Or, pour ce père-là, c’est l’amour, cette relation vivante et gratuite qui fait de son fils, son fils, et pour toujours : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi et tout ce qui est à moi est à toi ».

Comme le père va au-devant de ses fils et les cherche, Dieu va au-devant des hommes et nous cherche. Il nous appartient de nous laisser trouver. Pour cela, il n’est pas forcément nécessaire d’aller aux extrémités de la terre, il suffit parfois de rentrer en soi.


Les 3 paraboles se terminent par la joie et la fête. L’Eglise n’est pas le regroupement des parfaits qui pensent qu’ils n’ont besoin de personne, c’est le repas joyeux et festif qui rassemble les perdus qui ont été retrouvés, les égarés qui ont été accueillis, les mendiants qui sont anoblis.

Amen !

Isabelle CHABAS