Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 28 février 2016

Culte à Gap (05000)

Lectures du Jour :

Luc 13, 1-9

Exode 3, 1-15 (voir sous cette référence, méditations du 03 Mars 2013 et du 24 Mars 2019)

1 Corinthiens 10, 1-12,

Garder ou couper le figuier

Parmi tous les textes que nous avons entendus aujourd’hui, je voudrais faire quelques remarques à propos de la parabole du figuier stérile (Luc 13, 6 – 9)

Voici une parabole un peu… étrange ; pour deux raisons essentiellement.

Première originalité de cette parabole : elle renverse les schémas de pensée, les codes qui nous permettent habituellement de lire les paraboles de Jésus. En effet, dans beaucoup de paraboles où il est question de maître et de serviteurs, c’est bien souvent Dieu qu’il faut découvrir à travers l’image du maître. Je pense par exemple à la parabole du débiteur impitoyable (Mat. 18, 23-35), celle des ouvriers de la onzième heure (Mat. 20, 1-16) ou bien sûr, celle des talents (Mat. 25, 14-30). Ce sont des paraboles à classer parmi celles qui parlent du Royaume à venir et à espérer, ce Royaume des Cieux, où le maître est tout à la fois, le roi, le père et le juge sévère mais juste.

Ici, au contraire, ce n’est pas le maître qui a la part belle, ce serait même plutôt le contraire. Le maître de notre histoire nous apparaît plutôt comme quelqu'un de fermé, intransigeant.

Non ! celui qui ici donne la parole de vie, c’est le vigneron, le serviteur et non le maître. Voilà d’emblée une situation bien dérangeante, subversive même…

Seconde originalité de cette parabole : elle est étrange également parce qu’elle nous laisse un peu sur notre faim, tout simplement parce qu’elle semble ne pas avoir de fin. Jésus ne nous dit pas ce qu’il advient de ce pauvre figuier au bout d’une année.

Quelle décision prend le maître à son encontre ? Nous ne le savons pas… mais peut-être y-a-t-il aussi quelque chose à retirer de cet oubli ou plutôt de cette omission...

Voilà pour l’originalité. Parlons maintenant du décor planté par Jésus.

Un figuier dans une vigne. Voilà qui, a priori, n’a rien d’extraordinaire, surtout pour ceux qui ont la chance de connaître les paysages d’Israël ; pour la plupart d’entre nous qui n’ont pas fait le voyage, un paysage provençal que le bétonnage a épargné fera l’affaire.

Paysage presque banal que cette vigne. Jésus se sert fréquemment de ce décor pour illustrer ses paraboles comme celle des vignerons meurtriers (Marc 12, 1-12). De la même façon, le figuier est un arbre familier au lecteur des Évangiles. Matthieu et Marc nous raconte même l’histoire de ce figuier stérile maudit par Jésus et qui sèche aussitôt (Mat. 21 et Marc 11).

Paysage presque banal… et pourtant, Jésus aurait très bien pu planter un autre décor, celui par exemple d’un figuier stérile… au milieu d’autres figuiers. Il n’avait même pas besoin de préciser où se trouve le figuier : cela ne nuit en rien à la compréhension immédiate de la parabole.

Il est vrai que pour des générations de prédicateurs qui ont creusé ce texte, la symboliques traditionnelle a son importance.

Le figuier, c'est Israël... L'association est ancienne et Jésus l'utilise à dessein. Depuis longtemps, les commentaires rabbiniques associe l'arbre et le peuple hébreu, si bien que beaucoup suggèrent même que l'arbre de la connaissance du bien et du mal, planté par Dieu au milieu de jardin de la Création, était un figuier.

La vigne, c'est l'ensemble de l'humanité, l'ensemble des peuples de la terre... Là encore, l'image est traditionnelle et Jésus l'utilise aussi pour préfigurer ce que sera l'Église.

Du coup, l'interprétation traditionnelle que l'on donne à cette parabole est encore une fois celle de la condamnation par Jésus d'Israël qui ne porte plus les fruits que son élection par Dieu la destine pourtant à donner au milieu des nations. Et du coup, dans cette optique, Le maître de la parabole renvoie bien à Dieu et le vigneron à Jésus qui intercède encore pour Israël...

On pourrait sans doute actualiser le propos et regarder ce qui se passe encore et toujours du côté de ce Moyen-Orient ravagé et où les perspectives d'un règlement du conflit israélo-palestinien sont obstinément inexistantes ou presque...

Cependant, ce n'est pas dans cette interprétation-là que je voudrais me lancer... mais plutôt à une lecture de la parabole un peu différente mais qui m'a sauté aux yeux la première fois que j'ai lu ce récit...

Ce qui m'est apparu en premier lieu, c'est l'isolement de ce pauvre figuier, et la dureté du maître... Ce figuier est là, seul figuier perdu au milieu de dizaines et de dizaines de ceps de vigne. Et du coup, il prend une dimension supplémentaire qu’il n’aurait pas eu planté au milieu d’un autre décor. Au milieu de sa vigne, il fait un peu figure d’étranger notre pauvre figuier.

Pauvre figuier en effet ! Que nous apprend-on sur lui ?

Tout d’abord, la parabole nous apprend que depuis trois ans qu’il est sur cette terre, il n’a pas donné une seule figue. Et il semble paradoxalement qu’il en va différemment des hommes et des figuiers lorsque tous deux sont étrangers : À ce figuier étranger, on ne reproche pas d’être trop prolifique, d’avoir une ribambelle de rejetons trop nombreux pour que l’on puisse tous les cueillir, les accueillir, rejetons qui menacent de supplanter (c’est presque du vocabulaire agricole) la vigne. Non ! Lui, ce qu’on lui reproche, c’est au contraire d’être stérile. Premier reproche…

Deuxième reproche maintenant : “Pourquoi faut-il qu’il épuise la terre ? “ se demande le maître. Non seulement ce figuier, cet étranger, est stérile mais en plus il profite allègrement de la nourriture du sol, au détriment de la vigne dont le maître semble si préoccupé. Bref, il vit au crochet de cette “société viticole” qui a eu la bonté, la générosité de l’accueillir, sans rien apporter en retour, comme un parasite, un hôte indésirable. Voilà qui ne peut que déplaire au maître.

Le maître justement, parlons-en un peu.

Au fond, si l’on voulait dresser un portrait psychologique de cet homme, je dirais que c’est avant tout un pessimiste.

Comme bien des maîtres sur cette terre, il possède beaucoup de choses et, en premier lieu, des certitudes. Tout ce que nous savons en effet sur le figuier, c’est lui qui nous l’apprend. Nous ne pouvons le connaître qu’à travers le prisme des certitudes de ce maître qui a son opinion déjà faite.

Comme bien des maîtres sur cette terre, il est également sûr de son bon droit, et il attend que tout sur son domaine, hommes, animaux, plantes, lui soit source de profit et ne vive pas, comme un simple allocataire, sans rien faire. Et à l’écouter, tout ce qui est inutile, stérile, doit être coupé. Trois ans, voilà qui est déjà beaucoup ; il a suffisamment attendu, en vain, que le figuier donne du fruit.

Les certitudes du maître ne font cependant pas l’unanimité.

Le vigneron lui pense autrement. Certes, le vigneron est un personnage important, essentiel dans un domaine viticole ; mais c’est aussi un simple serviteur, notamment dans ce domaine : le maître lui ordonne de couper le figuier, il doit s’exécuter. De quel droit alors vient-il ainsi contester la décision du maître et bousculer ses belles certitudes ?

C’est que des belles certitudes, lui au contraire n’en a pas. “Peut-être donnera-t-il du fruit ? “ dit-il au maître en parlant du figuier. Il n’en sait rien notre vigneron ; mais au fond, lui, à la différence de son maître, c’est un optimiste. Il ne sait pas, il n’est pas certain, il croit. Et il veut encore croire qu’avec quelques coups de bêche pour aérer le sol, avec un peu de fumier pour l’enrichir, bref avec un peu d’attention et d’amour, notre pauvre figuier pourrait donner du fruit…

Et puis il ne donne pas d’ordre notre vigneron, juste un conseil. En bon serviteur, il laisse bien sûr le maître décider, prendre ses responsabilités : garder le figuier, ou le couper.

Cette fin de l’histoire ne nous est pas donnée.

On ne sait pas si le figuier a, enfin, oui ou non, donné du fruit…. On ne sait pas si le maître est revenu sur sa décision ou s’il a fait couper le figuier. On ne sait pas si, après cela, il a été content de cette décision ou si, après coup, il s’est rendu compte qu’il était autrefois bien agréable de venir contempler sa vigne à l’ombre du figuier qui n’était au fond pas si inutile que ça.

. Rien de tout cela ne nous est dit. Jésus s’en garde bien au fond…

Car vous l’avez bien compris, à travers cette parabole, Jésus nous invite à nous pencher sur le regard et l’attitude que nous pouvons avoir à la fois vis à vis de nous-mêmes et des autres.

Le choix des textes d’aujourd’hui peut nous amener à faire le parallèle entre le figuier de la parabole et le buisson ardent qui apparaît à Moïse. Au delà de la question du nom de Dieu, “Je Suis”, que beaucoup de théologiens ont travaillée, ce récit nous dit que Dieu choisit souvent de se manifester à nous à travers ce que nous pouvons considérer comme insignifiant, sans intérêt, et même stérile.

Pourtant, comme le dit Jésus en Matthieu 7, “cueille-t-on des raisins sur un buisson d’épines, ou des figues sur des chardons ?”. L’évidence est là, au delà de l’absurde ; mais dans la parabole, il est question de cueillir des figues non sur des chardons, mais sur un figuier. Nous ne sommes pas face à une situation irréalisable, illogique, mais bien face à une logique, celle du progrès, du mieux, du plus… logique que nous poussons trop souvent vers la rentabilité, la compétitivité.

Notre regard sur l'étranger est encore une fois au cœur du problème et la crise des migrants, comme la nomme bien pudiquement nos médias, la rend encore et toujours d'une actualité brulante... Les jours derniers nous est venu d'Allemagne le récit glaçant de ces incendies criminels de plusieurs centres d'hébergement de migrants que des dizaines de badauds observaient, certains allant jusqu'à applaudir sur fond de slogans xénophobes.

Une image chassant l'autre, on oublie un peu ces temps-ci l'île de Lampedusa pour regarder du côté de la Grèce et ses frontières fermées par les pays voisins. Et chez nous, c'est le traitement froid, administratif, du devenir de la jungle de Calais qui nous a occupé... et qui donne un visage bien peu réjouissant de notre Europe, bien loin en tout cas des idéaux généreux qui présidaient autrefois à la construction européenne.

Face à cette logique de marché, Jésus, lui qui s’est fait vigneron, serviteur, nous laisse avec cette responsabilité qui est la nôtre. En nous disant : “tu aimeras ton prochain comme toi-même”, il nous laisse responsables vis à vis de nous-même mais aussi vis à vis de l’autre, de l’étranger qu’il nous invite à considérer comme “prochain”.

Il nous met face à ce que nous pouvons considérer comme stérile dans nos propres existences. Mais il nous place également responsables face à l’étranger que nos sociétés triomphantes — sociétés de maîtres — considèrent trop souvent comme inutiles, parasites, sans intérêt.

Il nous laisse responsables… mais pas seuls, et c’est peut-être la seule certitude que la parabole du figuier stérile veut laisser à notre orgueil de maître. Car cette parcelle d’amour qui peut tout changer, ces coups de bêche qui peuvent être autant de coups de canifs donnés à nos belles et rassurantes certitudes, c’est lui, Jésus, le vigneron, qui est prêt à les donner le premier. En ce temps de Carême, voilà une certitude que nous devrions garder à l’esprit plus souvent.

Amen !

Philippe COTTEREL