Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

DIMANCHE 28 JUILLET 2013

Culte à Orpierre (05)

Lectures du Jour :

LUC 11, 1-13

Genèse 18, 20-32

Colossiens 2, 11-14

Notre Père qui es aux cieux… (1)

Frères et sœurs,

La lecture de ce matin dans Luc, mettant sur notre chemin le Notre Père, même dans sa version courte, (la version « longue » se trouvant ne Matthieu 6), je n’ai pas voulu esquiver une méditation sur ce texte, bien qu’il faille reconnaître que des personnes hautement qualifiées ayant écrit des livres entiers sur le sujet, notre méditation de ce matin ne volera pas si haut.

De quoi s’agit-il ?

Tout d’abord, la première phrase du texte « Un jour, quelque part, Jésus priait ».

On pourrait être plus précis, mais cette imprécision inhabituelle de Luc nous donne paradoxalement une indication : Quel que soit le moment et le lieu, Jésus est en relation avec son Père, par la prière.

Et c’est en le voyant prier que les disciples lui font cette requête. Mais la réponse qu’il va leur donner les aura certainement surpris.

Il ne faut pas oublier que les disciples sont juifs, imprégnés de la tradition et des liturgies pratiquées dans les synagogues ou au Temple.

Et cette prière commence comme le Kaddish, cette prière juive centrale dans la liturgie des offices. Elle commence ainsi :

« Magnifié et sanctifié soit le Grand Nom dans le monde qu'il a créé selon sa volonté et puisse-t-il établir son royaume ».

Que ton nom soit sanctifié : c’est à dire mis à part au point que les juifs ne prononçaient pas ce nom, désigné par le tétragramme YHWH. Vous remarquerez que le N.P. non plus ne prononce pas ce nom, mais qu’il commence par « Notre Père », voilà le nouveau nom que les disciples, et nous avec, devrons prononcer pour invoquer celui dont le nom doit être sanctifié.

Et ça, c’est une révolution, et même un scandale pour les religieux : C’est Jésus le premier qui emploiera ce mot « mon Père » : « Il faut que je m’occupe des affaires de mon Père » dès l’âge de 12 ans, « Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie », etc…

En nous apprenant à prier Dieu en l’appelant notre Père, Jésus veut nous entraîner à sa suite, dans son aventure spirituelle, dans sa relation filiale. Du coup, nous sommes embarqués dans l’aventure missionnaire de Jésus, dans ses 3 années de pérégrinations racontées par les Evangiles, dans toutes ses rencontres, dans ses paraboles. En communion avec le Fils unique, nous devenons fils et fille, et nous sommes alors totalement engagés dans Sa volonté, Son projet pour nous et pour l’humanité entière qui devient ici une famille de frères.

La famille de ceux et celles qui prennent Dieu au sérieux, qui prennent l’Evangile et sa Bonne Nouvelle au sérieux, et qui peuvent dire ensemble « Notre Père », à tel point que dans la foulée du concile Vatican II, ils ont écrit en 1966, une version commune de cette prière, qui devient ainsi le véritable patrimoine commun de toute la chrétienté.

Et s’adresser à Notre père qui es aux cieux n’a pas pour but de cantonner Dieu dans un petit coin de ciel bleu et de nous laisser faire nos affaires ici-bas. Cette expression a pour pendant notre première affirmation du Credo : « je crois en Dieu le père tout puissant, créateur du Ciel et de la terre ». Le ciel et la terre, c’est à dire l’univers, créé par cette transcendance qui nous est si lointaine, si étrangère, si « tout autre », que nous ne pouvons même pas l’imaginer, et pourtant si proche que nous pouvons l’appeler « Père ».

Que ton règne vienne : Lorsque Jésus commença à prêcher et à dire : « Le Royaume de Dieu s’est approché de vous. » Lc 10/9, ce fut un autre scandale.

Et pourtant, avec Le fils de Dieu prenant notre condition humaine, nous montrant le chemin qui mène à Dieu, manifestant la puissance et la gloire divines par sa résurrection, oui, nous pouvons dire que le Règne de Dieu, est déjà arrivé par la venue de Jésus parmi nous.

Et chaque fois qu’un homme ou une femme s’agenouille pour reconnaître Christ comme son Seigneur, chaque fois que nous lui manifestons notre fidélité par un geste d’amour, de fraternité, par une attitude d’humilité dans nos relations avec nos prochains, alors c’est une petite parcelle du Royaume de Dieu sur terre qui s’agrandit. Mais la route sera longue, le chemin escarpé pour faire advenir son règne pleinement, c’est pourquoi il nous faut encore et encore dire Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite, par moi, à travers moi, ici et maintenant.

Que ta volonté soit faite : et non la nôtre et non celle de Mammon. Nul ne peut servir deux maitres, il nous faut choisir, choisir de servir pour le bien commun à tous nos frères en humanité, car dans ce combat incessant entre les forces du bien et celles du mal, il faut que Dieu et sa justice triomphent. (Voir en genèse 18 comment se manifeste la justice de Dieu : « Pour un seul juste, je sauverai tous les autres »)

Après le Règne, le pain : Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour : Dans l’A.T., le pain est souvent associé à un don de Dieu : « L’Eternel donne du pain aux affamés» (Ps. 146), et ce proverbe que j’aime bien: « Ne me donne ni pauvreté ni richesse. Accorde-moi juste le pain qui m’est nécessaire. » (Prov. 30/8).

Cette première requête dite au pluriel nous invite à la confiance, à nous en remettre pleinement à Dieu, jour après jour, comme le peuple hébreu au désert avec la manne. Ainsi, libérés de cette obsession du lendemain nous pouvons regarder autour de nous, nous intéresser à ceux qui nous entourent.

Demander notre pain de ce jour, c’est demander à Dieu le nécessaire mais aussi exprimer notre désir de nous libérer de sa quête, notre désir de préférer être plutôt qu’avoir. Là aussi c’est un choix, que nous pouvons faire, confiants dans la promesse de Jésus : 

«Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu; et toutes ces choses vous seront données par-dessus. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain; car le lendemain aura soin de lui-même. A chaque jour suffit sa peine » (Mat. 6, 33)

Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons…

Cette seconde requête suscite bien des controverses dans sa formulation « œcuménique » de 1966.

La traduction exacte serait : «Remets-nous nos dettes, comme nous remettons aussi à ceux qui nous doivent. »

Pardonne-nous ce que nous te devons car nous te devons tout. Notre dette est immense, non remboursable, nous sommes des insolvables :

* Tu nous as donné la Vie, la Vie Eternelle, par grâce, dès aujourd’hui, ici et maintenant, par anticipation,

* et nous augmentons chaque jour un peu plus cette dette car nous sommes en dette envers les frères humains que tu nous as donnés et que nous ne savons pas aimer. Nos frères en qui nous n’avons pas reconnu ton image : « J’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger », dit Jésus en Matthieu 25.

Dire à Dieu « pardonne nous nos offenses » comme si nous comprenions nos péchés comme des « offenses à Dieu », paraît même un peu saugrenu. Dieu aurait-il besoin de nous pardonner pour s’apaiser lui-même, pour calmer sa colère, parce qu’il se sentirait offensé par nous ? C’est de nous, de nous seuls, qu’il s’agit ici : Car le pardon de Dieu a précédé, bien sûr, toutes nos histoires de péchés et de pardons humains. Mais notre guérison ne sera affermie et totale que lorsque nous aurons pardonné nous aussi à nos frères. Nous avons tout reçu gratuitement, mais nous pouvons encore perdre ce tout, si nous ne le partageons pas.

Alors nous pourrions dire simplement : « Que ton pardon m’apprenne à pardonner. ».

Ne nous soumets pas à la tentation : mais délivre-nous du mal : Là aussi la traduction est source de controverse car elle laisserait penser que Dieu nous tente, ce qui est formellement réfuté par Jacques : « Que personne, lorsqu'il est tenté, ne dise: C'est Dieu qui me tente. Car Dieu ne peut être tenté par le mal, et il ne tente lui-même personne.»

La traduction originelle serait plutôt « ne nous laisse pas succomber à la tentation », ce qui est plus compliqué mais plus fidèle et correspond bien à ce que dit Jacques « Mais chacun est tenté quand il est attiré et amorcé par sa propre convoitise. » (Jc 1/14)

Car lorsque nous disons « délivre nous du mal », ce n’est pas du mal que l’on nous ferait mais du mal que nous faisons, même sans le vouloir, car si le royaume de Dieu est en nous, comme le dit Jésus, le mal règne également en nous. C’est le propre de notre condition humaine, à la fois bien et mal, nous sommes le lieu de ce combat permanent. Le mal, c’est ce qui nous sépare de Dieu, sous l’influence du diable, le malin, le diviseur. Et le péché n’est pas une faute morale, mais consiste précisément à céder à ces pulsions du mal, cette soif de pouvoir, de puissance, cette logique du moi d’abord, cette cupidité inextinguible, cet esprit de jugement, qui sont autant de dispositions d’esprit aux antipodes de l’enseignement du Christ. Alors, oui, les fautes morales peuvent survenir après, dans la foulée.

Dieu dit en Dt 30 : « je mets devant toi la mort et la vie, choisis la vie. » Il est clair que l’Humanité n’a pas fait le bon choix.

C’est pourquoi il nous faut prier sans cesse « Délivre nous du mal », nous, c’est-à-dire vous, moi, mais aussi l’Humanité toute entière.

Puis vient ce que l’on appelle la doxologie finale. Cette prière de louange et de gloire que l’on trouve dans les Psaumes, se rattache directement aux trois premières proclamations, ce qui explique le « car » et nous relie aux rituels juifs. (…que ton règne vienne, car c’est à toi qu’appartiennent…)

Et pour terminer, Jésus nous donne cette courte parabole de « l’ami qui se laisse fléchir » : Belle promesse pour nous : « Demandez, et l'on vous donnera; cherchez, et vous trouverez; frappez, et l'on vous ouvrira. » Ainsi Jésus nous donne l’assurance qu’avec Notre Père, demander c’est déjà obtenir, mais dans la prière que Jésus nous a enseignée, il s’agit surtout non pas de demandes pour nous-mêmes, mais de demander à Dieu son aide pour que nous lui restions fidèles en chaque circonstance du quotidien.

Et lorsque Jésus nous dit « Cherchez et vous trouverez », Il s’agit en fait, de chercher Dieu lui-même.

Alors que nous apporte cette prière ? Elle résume en quelques phrases, dites parfois machinalement, notre relation presque intime avec « Notre père », et la mission qu’il confie à chacun de nous. Elle nous libère. Libérés de la quête du pain, libérés du poids de notre péché, libérés des pièges du malin-diviseur, nous pouvons suivre sereinement notre chemin, là où nous sommes, jour après jour : Dieu nous a exaucés, Jésus nous porte.

Amen

François PUJOL.

(1) Méditation rédigée à partir d’une série de Samuel Sahagian, dans Réforme, Avril-mai 2007